Version Moderne
Version Originale
J'ai appris qu'Éliante et Célimène sont sorties faire des courses. Mais on m'a dit que vous étiez là, alors je suis monté vous voir. Je vais être franc : j'ai une estime folle pour vous, et depuis longtemps j'ai envie qu'on soit amis. J'aime reconnaître le mérite, et je brûle de créer ce lien avec vous. Un ami sincère de mon rang, ce n'est pas négligeable. C'est à vous que je parle.
J'ai su là-bas que, pour quelques Emplettes
Éliante est sortie, et Célimène aussi :
Mais, comme l'on m'a dit que vous étiez ici,
J'ai monté, pour vous dire, et d'un coeur véritable,
Que j'ai conçu pour vous, une estime incroyable ;
Et que, depuis longtemps, cette estime m'a mis
Dans un ardent désir d'être de vos Amis.
Oui, mon Coeur, au Mérite aime à rendre justice,
Et je brûle qu'un noeud d'Amitié nous unisse :
Je crois qu'un Ami chaud, et de ma Qualité,
N'est pas, assurément, pour être rejeté.
C'est à vous, s'il vous plaît, que ce discours s'adresse.
À moi ?
À moi, Monsieur ?
À vous. Ça vous dérange ?
À vous. Trouvez-vous qu'il vous blesse ?
Non, mais ça me surprend beaucoup. Je ne m'attendais pas à cet honneur.
Non pas, mais la surprise est fort grande pour moi.
Et je n'attendais pas l'honneur que je reçois.
Mon estime ne devrait pas vous surprendre. Le monde entier vous la doit.
L'estime où je vous tiens ne doit point vous surprendre,
Et de tout l'Univers, vous la pouvez prétendre.
L'État n'a rien qui égale votre mérite éclatant.
L'État n'a rien qui ne soit au-dessous
Du Mérite éclatant que l'on découvre en vous.
Pour moi, vous valez mieux que tous les grands de ce monde.
Oui, de ma part, je vous tiens préférable
A tout ce que j'y vois de plus considérable.
Que le ciel m'écrase si je mens ! Pour vous prouver mes sentiments, laissez-moi vous embrasser et demander votre amitié. Tapez là ! Vous me promettez votre amitié ?
Sois-je du Ciel écrasé, si je mens ;
Et pour vous confirmer ici, mes Sentiments,
Souffrez qu'à coeur ouvert, Monsieur, je vous embrasse,
Et qu'en votre Amitié, je vous demande place.
Touchez-là, s'il vous plaît, Vous me la promettez
Votre Amitié ?
Quoi ? Vous refusez ?
Quoi ? vous y résistez ?
C'est trop d'honneur, mais l'amitié demande plus de temps. C'est profaner ce mot que de le jeter comme ça. Il faut se connaître avant de se lier. On pourrait avoir des caractères incompatibles et le regretter tous les deux.
Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire ;
Mais l'Amitié demande un peu plus de mystère,
Et c'est, assurément, en profaner le nom,
Que de vouloir le mettre à toute occasion.
Avec lumière et choix cette union veut naître,
Avant que nous lier, il faut nous mieux connaître ;
Et nous pourrions avoir telles complexions,
Que tous deux, du Marché, nous nous repentirions.
Parbleu, voilà parler en sage ! Je vous estime encore plus. Laissons le temps créer notre amitié. Mais je suis à votre service. Si vous avez besoin d'appui à la Cour, j'ai l'oreille du roi qui me traite très bien. Bref, je suis tout à vous. Et comme vous avez beaucoup d'esprit, pour commencer notre relation, j'aimerais vous montrer un sonnet que je viens d'écrire. Dites-moi s'il vaut la peine d'être publié.
Parbleu, c'est là-dessus, parler en Homme sage,
Et je vous en estime, encore, davantage :
Souffrons, donc, que le Temps forme des noeuds si doux.
Mais, cependant, je m'offre entièrement à vous ;
S'il faut faire à la Cour, pour vous, quelque ouverture,
On sait, qu'auprès du Roi, je fais quelque Figure,
Il m'écoute, et dans tout, il en use, ma foi,
Le plus honnêtement du Monde, avecque moi.
Enfin, je suis à vous, de toutes les manières ;
Et, comme votre Esprit a de grandes lumières,
Je viens, pour commencer, entre nous, ce beau noeud,
Vous montrer un Sonnet, que j'ai fait depuis peu,
Et savoir s'il est bon qu'au Public je l'expose.
Je ne suis pas fait pour juger ça. Dispensez-moi.
Monsieur, je suis mal propre à décider la chose,
Veuillez m'en dispenser.
J'ai le défaut d'être trop sincère sur ce sujet.
J'ai le défaut
D'être un peu plus sincère, en cela, qu'il ne faut.
C'est exactement ce que je veux ! Je serais déçu si vous me mentiez après vous avoir demandé la vérité.
C'est ce que je demande, et j'aurais lieu de plainte,
Si m'exposant à vous, pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.
Puisque vous insistez, d'accord.
Puisqu'il vous plaît ainsi, Monsieur, je le veux bien.
C'est un sonnet. "L'Espoir"... C'est pour une dame qui m'avait donné de l'espoir. Ce n'est pas pompeux, juste des vers doux et tendres.
Sonnet... C'est un Sonnet. L'Espoir ... C'est une Dame,
Qui, de quelque espérance, avait flatté ma flamme.
L'Espoir... Ce ne sont point de ces grands Vers pompeux,
Mais de petits Vers doux, tendres, et langoureux.
On verra bien.
Nous verrons bien.
"L'Espoir"... J'espère que le style vous paraîtra clair et que les mots vous plairont.
L'Espoir ... Je ne sais si le style
Pourra vous en paraître assez net, et facile ;
Et si, du choix des Mots, vous vous contenterez.
On va voir.
Nous allons voir, Monsieur.
Au fait, je l'ai écrit en un quart d'heure.
Au reste, vous saurez,
Que je n'ai demeuré qu'un quart d'heure à le faire.
Le temps n'y change rien.
Voyons, Monsieur, le Temps ne fait rien à l'affaire.
"L'espoir nous soulage, c'est vrai, et berce notre ennui un temps. Mais Philis, quel triste avantage quand rien ne suit !"
L'Espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps, notre ennui ;
Mais, Philis, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
Je suis déjà charmé !
Je suis déjà charmé de ce petit morceau.
Quoi ! Tu oses trouver ça beau ?
Quoi ! vous avez le front de trouver cela beau ?
"Vous avez été complaisante, mais trop peu. Pourquoi tant d'efforts pour ne me donner que l'espoir ?"
Vous eûtes de la Complaisance,
Mais vous en deviez moins avoir ;
Et ne vous pas mettre en dépense,
Pour ne me donner que l'Espoir.
Ah ! C'est dit avec tant d'élégance !
Ah ! qu'en termes galants, ces choses-là sont mises !
Morbleu ! Lèche-bottes, tu applaudis ces bêtises ?
Morbleu, vil Complaisant, vous louez des Sottises ?
"Si cette attente éternelle épuise mon ardeur, la mort sera mon recours. Rien ne peut m'en détourner. Belle Philis, on désespère quand on espère toujours."
S'il faut qu'une attente éternelle
Pousse à bout, l'ardeur de mon zèle,
Le Trépas sera mon recours.
Vos soins ne m'en peuvent distraire ;
Belle Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours.
La chute est jolie, amoureuse, admirable !
La chute en est jolie, amoureuse, admirable.
Ta chute, je m'en fous ! Empoisonneur ! J'aimerais mieux que tu te casses la figure.
La peste de ta chute ! Empoisonneur au Diable,
En eusses-tu fait une à te casser le nez.
Je n'ai jamais entendu de vers si bien tournés.
Je n'ai jamais ouï de Vers si bien tournés.
Vous me flattez, vous pensez peut-être...
Vous me flattez, et vous croyez, peut-être...
Non, je ne flatte pas.
Non, je ne flatte point.
Alors qu'est-ce que tu fais, traître ?
Et que fais-tu, donc, Traître ?
Mais vous, respectez notre accord. Parlez-moi sincèrement.
Mais, pour vous, vous savez quel est notre Traité ;
Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité.
C'est délicat. On aime tous être flattés sur notre esprit. Mais un jour, j'ai dit à quelqu'un - je tairai son nom - qu'un homme bien doit résister à l'envie d'écrire, qu'il ne faut pas se précipiter pour montrer ses œuvres. Sinon on risque de se ridiculiser.
Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et, sur le bel Esprit, nous aimons qu'on nous flatte :
Mais un jour, à quelqu'un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des Vers de sa façon,
Qu'il faut qu'un galant Homme ait toujours grand empire
Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire ;
Qu'il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu'on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses Ouvrages,
On s'expose à jouer de mauvais Personnages.
Vous voulez dire que j'ai tort de...
Est-ce que vous voulez me déclarer, par là,
Que j'ai tort de vouloir...
Je ne dis pas ça. Mais je lui disais qu'un texte médiocre ruine une réputation. Même avec cent qualités, on ne retient que les défauts.
Je ne dis pas cela :
Mais je lui disais, moi, qu'un froid Écrit assomme,
Qu'il ne faut que ce Faible, à décrier un Homme ;
Et qu'eût-on, d'autre part, cent belles Qualités,
On regarde les Gens, par leurs méchants côtés.
Vous trouvez mon sonnet mauvais ?
Est-ce qu'à mon Sonnet, vous trouvez à redire ?
Je ne dis pas ça. Mais je lui montrais combien cette manie d'écrire a gâché des gens bien.
Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux, comme dans notre Temps,
Cette Soif a gâté de fort Honnêtes Gens.
J'écris mal ? Je leur ressemble ?
Est-ce que j'écris mal ? et leur ressemblerais-je ?
Je ne dis pas ça. Mais je lui demandais : pourquoi ce besoin de rimer ? Qui vous pousse à publier ? On pardonne les mauvais livres seulement à ceux qui écrivent pour manger. Résistez à la tentation, gardez ça pour vous. Ne perdez pas votre réputation d'homme respectable pour devenir un auteur ridicule. Voilà ce que j'essayais de lui faire comprendre.
Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin, si pressant, avez-vous de Rimer ?
Et qui, diantre, vous pousse à vous faire Imprimer ?
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais Livre,
Ce n'est qu'aux Malheureux, qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au Public, ces Occupations ;
Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,
Le nom que, dans la Cour, vous avez d'honnête Homme,
Pour prendre, de la main d'un avide Imprimeur,
Celui de ridicule, et misérable Auteur.
C'est ce que je tâchai de lui faire comprendre.
Très bien, je comprends. Mais qu'est-ce qui cloche dans mon sonnet ?
Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon Sonnet...
Franchement, il est bon pour les toilettes. Vous copiez de mauvais modèles et vos expressions sonnent faux. "Berce notre ennui" ? "Rien ne marche après" ? "Ne pas se mettre en dépense" ? "On désespère quand on espère" ? Ce style ampoulé dont vous êtes fier n'est que jeux de mots et artifice. Ce n'est pas naturel. Le mauvais goût actuel me désole. Nos ancêtres, plus simples, avaient meilleur goût. Je préfère cette vieille chanson : "Si le roi m'avait donné Paris sa grand-ville, et qu'il me fallût quitter l'amour de ma mie, je dirais au roi Henri : reprenez votre Paris, j'aime mieux ma mie !" La rime est pauvre, le style vieux, mais c'est mieux que vos fioritures. Là, la passion parle vrai. Voilà ce que dit un cœur amoureux. Malgré vos beaux esprits, je préfère ça à tous vos faux brillants.
Franchement, il est bon à mettre au Cabinet ;
Vous vous êtes réglé sur de méchants Modèles,
Et vos Expressions ne sont point naturelles.
Qu'est-ce que nous berce un temps, notre ennui,
Et que rien ne marche après lui ?
Que ne vous pas mettre en dépense,
Pour ne me donner que l'Espoir ?
Et que Philis, on désespère,
Alors qu'on espère toujours ?
Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon Caractère, et de la Vérité ;
Ce n'est que jeu de Mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi, que parle la Nature.
Le méchant Goût du Siècle, en cela, me fait peur.
Nos Pères, tous grossiers, l'avaient beaucoup meilleur ;
Et je prise bien moins, tout ce que l'on admire,
Qu'une vieille Chanson, que je m'en vais vous dire.
Si le Roi m'avait donné
Paris, sa grand'Ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma Mie ;
Je dirais au Roi Henri,
Reprenez votre Paris,
J'aime mieux ma Mie, au gué,
J'aime mieux ma Mie.
La Rime n'est pas riche, et le Style en est vieux :
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces Colifichets, dont le bon Sens murmure,
Et que la Passion parle là toute pure ?
Si le Roi m'avait donné
Paris, sa grand'Ville,
Et qu'il me fallût quitter
L'amour de ma Mie ;
Je dirais au Roi Henri,
Reprenez votre Paris,
J'aime mieux ma Mie, au gué,
J'aime mieux ma Mie.
Voilà ce que peut dire un Coeur vraiment épris.
Oui, Monsieur le Rieur, malgré vos beaux Esprits,
J'estime plus cela, que la Pompe fleurie
De tous ces faux Brillants, où chacun se récrie.
Mes vers sont excellents !
Et moi, je vous soutiens que mes Vers sont fort bons.
Vous avez vos raisons. Mais j'ai les miennes, qui ne sont pas les vôtres.
Pour les trouver ainsi, vous avez vos Raisons ;
Mais vous trouverez bon, que j'en puisse avoir d'autres
Qui se dispenseront de se soumettre aux vôtres.
D'autres les apprécient, ça me suffit.
Il me suffit de voir que d'autres en font cas.
Ils savent mentir, pas moi.
C'est qu'ils ont l'Art de feindre, et moi, je ne l'ai pas.
Vous vous croyez si spirituel ?
Croyez-vous, donc, avoir tant d'Esprit en partage ?
Si je louais vos vers, j'en aurais plus.
Si je louais vos Vers, j'en aurais davantage.
Je me passe de votre approbation.
Je me passerai bien que vous les approuviez.
Tant mieux, passez-vous-en.
Il faut bien, s'il vous plaît, que vous vous en passiez.
J'aimerais vous voir en écrire sur le même sujet.
Je voudrais bien, pour voir, que de votre manière ;
Vous en composassiez sur la même Matière.
Je pourrais en faire d'aussi mauvais, mais je les garderais pour moi.
J'en pourrais, par malheur, faire d'aussi méchants ;
Mais je me garderais de les montrer aux Gens.
Vous êtes bien arrogant...
Vous me parlez bien ferme, et cette suffisance...
Allez chercher ailleurs qui vous flatte.
Autre part que chez moi, cherchez qui vous encense.
Mon petit monsieur, descendez de vos grands chevaux.
Mais, mon petit Monsieur, prenez-le un peu moins haut.
Mon grand monsieur, je le prends comme il faut.
Ma foi, mon grand Monsieur, je le prends comme il faut.
Messieurs ! Ça suffit, arrêtez !
Eh ! Messieurs, c'en est trop, laissez cela, de grâce.
J'ai tort, je l'avoue. Je m'en vais. Je suis votre serviteur.
Ah ! j'ai tort, je l'avoue, et je quitte la place ;
Je suis votre Valet, Monsieur, de tout mon coeur.
Et moi votre humble serviteur.
Et moi, je suis, Monsieur, votre humble Serviteur.