Version Moderne
Version Originale
Les deux marquis arrivent. On vous a prévenue ?
Voici les deux Marquis, qui montent avec nous ;
Vous l'est-on venu dire ?
Oui, apportez des chaises. Vous êtes encore là ?
Oui, des Sièges pour tous.
Vous n'êtes pas sorti ?
Oui. Il faut choisir entre eux et moi.
Non ; mais je veux, Madame,
Ou, pour eux, ou pour moi, faire expliquer votre Âme.
Taisez-vous.
Taisez-vous.
Aujourd'hui, vous allez choisir.
Aujourd'hui, vous vous expliquerez.
Vous êtes fou.
Vous perdez le sens.
Non. Vous devez vous décider.
Point. Vous vous déclarerez.
Choisissez.
Vous prendrez Parti.
Vous plaisantez ?
Vous vous moquez, je pense.
Non. Choisissez, j'en ai assez.
Non ; mais vous choisirez, c'est trop de patience.
Je viens du Louvre. Cléonte était ridicule ce matin ! Personne ne peut lui dire qu'il se rend grotesque ?
Parbleu, je viens du Louvre, où Cléonte, au Levé,
Madame, a bien paru, Ridicule achevé.
N'a-t-il point quelque Ami qui pût, sur ses Manières,
D'un charitable Avis, lui prêter les lumières ?
Il se ridiculise partout. On le remarque tout de suite. Et chaque fois qu'on le revoit, c'est pire.
Dans le Monde, à vrai dire, il se barbouille fort ;
Partout, il porte un Air qui saute aux yeux, d'abord ;
Et lorsqu'on le revoit, après un peu d'absence,
On le retrouve, encor, plus plein d'extravagance.
En parlant de fous, Damon m'a retenu une heure en plein soleil devant ma voiture !
Parbleu, s'il faut parler de Gens extravagants,
Je viens d'en essuyer un des plus fatigants ;
Damon, le Raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise,
Une heure, au grand Soleil, tenu hors de ma Chaise.
Il parle beaucoup pour ne rien dire. Ses discours sont vides, du bruit sans substance.
C'est un Parleur étrange, et qui trouve, toujours,
L'Art de ne vous rien dire, avec de grands Discours.
Dans les Propos qu'il tient, on ne voit jamais goutte,
Et ce n'est que du Bruit, que tout ce qu'on écoute.
Voilà une belle entrée en matière. On médit déjà bien.
Ce Début n'est pas mal ; et contre le Prochain,
La Conversation prend un assez bon train.
Et Timante, quel personnage !
Timante encor, Madame, est un bon Caractère !
Tout est mystère chez lui. Il vous regarde bizarrement, toujours pressé sans raison. Il fait des manières insupportables. Il a toujours un secret à vous murmurer qui n'est rien. Il transforme tout en drame, même dire bonjour devient confidentiel.
C'est, de la Tête aux Pieds, un Homme tout Mystère,
Qui vous jette, en passant, un coup d'oeil égaré,
Et, sans aucune Affaire, est toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite en grimaces, abonde ;
À force de façons, il assomme le Monde ;
Sans cesse il a, tout bas, pour rompre l'Entretien,
Un Secret à vous dire, et ce Secret n'est rien ;
De la moindre Vétille, il fait une Merveille,
Et, jusques au Bonjour, il dit tout à l'oreille.
Et Géralde ?
Et Géralde, Madame ?
Quel raseur ! Il ne parle que de nobles. Il cite toujours des ducs et des princes. Obsédé par les titres, il ne parle que de chevaux et de chiens. Il tutoie tous les grands et ne dit jamais Monsieur.
Ô l'ennuyeux Conteur !
Jamais, on ne le voit sortir du Grand Seigneur ;
Dans le brillant Commerce, il se mêle, sans cesse,
Et ne cite jamais, que Duc, Prince, ou Princesse.
La Qualité l'entête, et tous ses Entretiens
Ne sont que de Chevaux, d'Équipage, et de Chiens ;
Il tutoie, en parlant, ceux du plus haut Étage,
Et le nom de Monsieur, est, chez lui, hors d'usage.
Il paraît qu'il est très proche de Bélise.
On dit qu'avec Bélise, il est du dernier Bien.
Quelle idiote ! C'est un supplice quand elle vient. Je cherche désespérément quoi dire. Elle tue toute conversation. Même parler du temps ne marche pas. Sa visite s'éternise, on bâille, on regarde l'heure, elle ne bouge pas plus qu'un meuble.
Le pauvre Esprit de Femme ! et le sec entretien !
Lorsqu'elle vient me voir, je souffre le Martyre,
Il faut suer, sans cesse, à chercher que lui dire ;
Et la stérilité de son Expression,
Fait mourir, à tous coups, la Conversation.
En vain, pour attaquer son stupide silence,
De tous les Lieux communs, vous prenez l'assistance ;
Le beau Temps, et la Pluie, et le Froid et le Chaud,
Sont des Fonds qu'avec elle, on épuise bientôt.
Cependant, sa visite, assez insupportable,
Traîne en une longueur, encore, épouvantable ;
Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois,
Qu'elle grouille aussi peu qu'une Pièce de Bois.
Et Adraste ?
Que vous semble d'Adraste ?
Quel orgueilleux ! Il s'adore. Il critique sans cesse la cour. Selon lui, chaque nomination est une injustice envers son génie.
Ah ! quel orgueil extrême !
C'est un Homme gonflé de l'amour de soi-même ;
Son Mérite, jamais, n'est content de la Cour,
Contre elle, il fait métier de pester chaque jour ;
Et l'on ne donne Emploi, Charge ni Bénéfice,
Qu'à tout ce qu'il se croit, on ne fasse injustice.
Et le jeune Cléon qui reçoit tout le beau monde ?
Mais le jeune Cléon, chez qui vont, aujourd'hui,
Nos plus honnêtes Gens, que dites-vous de lui ?
On va chez lui pour sa table, pas pour lui.
Que de son Cuisinier, il s'est fait un Mérite,
Et que c'est à sa Table, à qui l'on rend Visite.
Il sert d'excellents plats.
Il prend soin d'y servir des Mets fort délicats.
Oui, mais lui gâche tout. Sa présence stupide ruine ses dîners.
Oui, mais je voudrais bien qu'il ne s'y servît pas,
C'est un fort méchant Plat, que sa sotte Personne,
Et qui gâte, à mon goût, tous les Repas qu'il donne.
Son oncle Damis est respecté. Qu'en pensez-vous ?
On fait assez de cas de son Oncle Damis ;
Qu'en dites-vous, Madame ?
C'est un ami.
Il est de mes Amis.
Je le trouve honnête et sage.
Je le trouve honnête Homme, et d'un air assez sage.
Oui, mais il veut trop faire le malin. Il force ses bons mots. Depuis qu'il se croit intelligent, rien ne lui plaît. Il critique tout, pense que louer est idiot. Pour lui, être savant c'est tout dénigrer. Il méprise les conversations ordinaires et regarde tout le monde de haut, bras croisés.
Oui, mais il veut avoir trop d'Esprit, dont j'enrage ;
Il est guindé sans cesse ; et dans tous ses propos,
On voit qu'il se travaille à dire de bons Mots.
Depuis que dans la tête, il s'est mis d'être habile,
Rien ne touche son goût, tant il est difficile ;
Il veut voir des Défauts à tout ce qu'on écrit,
Et pense que louer, n'est pas d'un bel Esprit.
Que c'est être Savant, que trouver à redire ;
Qu'il n'appartient qu'aux Sots, d'admirer, et de rire ;
Et qu'en n'approuvant rien des Ouvrages du Temps,
Il se met au-dessus de tous les autres Gens.
Aux Conversations, même il trouve à reprendre,
Ce sont Propos trop bas, pour y daigner descendre ;
Et, les deux bras croisés, du haut de son Esprit,
Il regarde en pitié, tout ce que chacun dit.
C'est exactement lui !
Dieu me damne, voilà son Portrait véritable.
Vous cernez parfaitement les gens !
Pour bien peindre les Gens, vous êtes admirable !
Continuez, médisez bien ! Vous n'épargnez personne. Mais dès qu'un de ces gens arrive, vous courez l'embrasser et jurer votre amitié.
Allons, ferme, poussez, mes bons Amis de Cour,
Vous n'en épargnez point, et chacun a son tour.
Cependant, aucun d'eux, à vos yeux, ne se montre,
Qu'on ne vous voie en hâte, aller à sa rencontre,
Lui présenter la main, et d'un baiser flatteur,
Appuyer les Serments d'être son Serviteur.
Pourquoi nous accuser ? C'est Madame qui parle.
Pourquoi s'en prendre à nous ? Si ce qu'on dit, vous blesse,
Il faut que le reproche, à Madame, s'adresse.
Non, c'est votre faute ! Vos rires l'encouragent. Vous nourrissez sa méchanceté par vos flatteries. Si vous ne l'applaudissiez pas, elle arrêterait. Les flatteurs sont responsables des vices qu'ils encouragent.
Non, morbleu, c'est à vous ; et vos Ris complaisants
Tirent de son Esprit, tous ces traits médisants ;
Son Humeur Satirique est sans cesse nourrie
Par le coupable Encens de votre Flatterie ;
Et son Coeur, à railler, trouverait moins d'appas,
S'il avait observé qu'on ne l'applaudît pas.
C'est ainsi qu'aux Flatteurs, on doit, partout, se prendre
Des Vices où l'on voit les Humains se répandre.
Pourquoi défendre ces gens que vous condamneriez aussi ?
Mais pourquoi, pour ces Gens, un intérêt si grand,
Vous, qui condamneriez, ce qu'en eux on reprend ?
Monsieur doit toujours contredire ! Il ne supporte pas d'être d'accord avec les autres. Il prend systématiquement le contre-pied. S'il était d'accord avec quelqu'un, il se sentirait ordinaire. Il aime tellement contredire qu'il se contredit lui-même. Si quelqu'un exprime son opinion, il change d'avis.
Et ne faut-il pas bien que Monsieur contredise ?
À la commune voix, veut-on qu'il se réduise,
Et qu'il ne fasse pas éclater, en tous lieux,
L'Esprit contrariant, qu'il a reçu des Cieux ?
Le Sentiment d'autrui, n'est jamais, pour lui plaire,
Il prend, toujours, en main, l'opinion contraire ;
Et penserait paraître un Homme du commun,
Si l'on voyait qu'il fût de l'avis de quelqu'un.
L'honneur de contredire, a, pour lui, tant de charmes,
Qu'il prend, contre lui-même, assez souvent, les armes ;
Et ses vrais Sentiments sont combattus par lui,
Aussitôt qu'il les voit dans la bouche d'Autrui.
Ils rient avec vous, continuez à vous moquer de moi.
Les Rieurs sont pour vous, Madame, c'est tout dire ;
Et vous pouvez pousser, contre moi, la Satire.
Mais c'est vrai que vous vous opposez toujours à tout. Vous ne supportez ni les critiques ni les louanges.
Mais il est véritable, aussi, que votre Esprit
Se gendarme, toujours, contre tout ce qu'on dit ;
Et que, par un chagrin, que lui-même il avoue,
Il ne saurait souffrir qu'on blâme, ni qu'on loue.
Parce que les hommes ont toujours tort ! Ils méritent qu'on les critique. Ils louent bêtement ou critiquent sans savoir.
C'est que jamais, morbleu, les Hommes n'ont raison,
Que le Chagrin, contre eux, est toujours de Saison,
Et que je vois qu'ils sont, sur toutes les Affaires,
Loueurs impertinents, ou Censeurs téméraires.
Non ! Vos plaisirs me répugnent. On a tort d'encourager vos défauts.
Non, Madame, non, quand j'en devrais mourir,
Vous avez des Plaisirs que je ne puis souffrir ;
Et l'on a tort, ici, de nourrir dans votre Âme,
Ce grand attachement aux Défauts qu'on y blâme.
Moi, je vous trouve parfaite.
Pour moi, je ne sais pas ; mais j'avouerai, tout haut,
Que j'ai cru, jusqu'ici, Madame sans Défaut.
Elle a toutes les qualités. Je ne vois aucun défaut.
De Grâces, et d'Attraits, je vois qu'elle est pourvue ;
Mais les Défauts qu'elle a, ne frappent point ma vue.
Moi je les vois tous, et je les lui dis. Quand on aime vraiment, on ne flatte pas. L'amour sincère ne pardonne rien. Je chasserais les amants serviles qui approuvent toutes mes folies.
Ils frappent tous la mienne, et loin de m'en cacher,
Elle sait que j'ai soin de les lui reprocher.
Plus on aime quelqu'un, moins il faut qu'on le flatte ;
À ne rien pardonner, le pur Amour éclate ;
Et je bannirais, moi, tous ces lâches Amants,
Que je verrais soumis à tous mes Sentiments,
Et dont, à tous propos, les molles Complaisances
Donneraient de l'Encens à mes Extravagances.
Donc selon vous, aimer c'est critiquer sans cesse ? Le parfait amour consiste à insulter l'être aimé ?
Enfin, s'il faut qu'à vous, s'en rapportent les Coeurs,
On doit, pour bien aimer, renoncer aux Douceurs ;
Et du parfait Amour, mettre l'Honneur suprême,
À bien injurier les Personnes qu'on aime.
L'amour ne fonctionne pas ainsi. Les amoureux adorent tout de l'être aimé. Ils transforment les défauts en qualités. La pâle devient blanche comme le jasmin, la trop maigre est élancée, la grosse majestueuse, la négligée naturelle, la géante divine, la naine délicate. L'orgueilleuse a de la noblesse, la menteuse de l'esprit, l'idiote de la bonté, la bavarde du charme, la muette de la pudeur. L'amour vrai adore même les défauts.
L'Amour, pour l'ordinaire, est peu fait à ces Lois,
Et l'on voit les Amants vanter, toujours, leur Choix :
Jamais, leur Passion n'y voit rien de blâmable,
Et dans l'Objet aimé, tout leur devient aimable ;
Ils comptent les Défauts pour des Perfections,
Et savent y donner de favorables Noms.
La Pâle, est aux Jasmins, en blancheur, comparable ;
La Noire, à faire peur, une Brune adorable ;
La Maigre, a de la taille, et de la liberté ;
La Grasse, est, dans son Port, pleine de Majesté ;
La Malpropre, sur soi, de peu d'Attraits chargée,
Est mise sous le nom de Beauté négligée ;
La Géante, paraît une Déesse aux yeux ;
La Naine, un Abrégé des Merveilles des Cieux ;
L'Orgueilleuse, a le Coeur digne d'une Couronne ;
La Fourbe, a de l'Esprit ; la Sotte, est toute bonne ;
La Trop Grande Parleuse, est d'agréable Humeur ;
Et la Muette, garde une honnête Pudeur.
C'est ainsi, qu'un Amant, dont l'ardeur est extrême,
Aime, jusqu'aux Défauts des Personnes qu'il aime.
Et moi, je dis que...
Et moi, je soutiens, moi...
Arrêtons là. Allons dans la galerie. Vous partez déjà ?
Brisons là, ce discours,
Et dans la Galerie, allons faire deux tours.
Quoi ! vous vous en allez, Messieurs ?
Pas du tout.
Non pas, Madame.
Vous avez peur qu'ils partent ! Partez quand vous voulez, mais je reste jusqu'à ce que vous partiez.
La peur de leur départ, occupe fort votre Âme ;
Sortez quand vous voudrez, Messieurs ; mais j'avertis,
Que je ne sors qu'après que vous serez sortis.
Sauf si Madame le souhaite, je suis libre toute la journée.
À moins de voir Madame en être importunée,
Rien ne m'appelle, ailleurs, de toute la journée.
Moi, jusqu'au coucher du roi, je n'ai rien de prévu.
Moi, pourvu que je puisse être au petit Couché,
Je n'ai point d'autre Affaire, où je sois attaché.
Vous plaisantez.
C'est pour rire, je crois.
Pas du tout. On verra qui vous voulez voir partir.
Non, en aucune sorte,
Nous verrons, si c'est moi, que vous voudrez qui sorte.