Version Moderne
Version Originale
Jamais je n'ai vu quelqu'un d'aussi têtu ! Impossible de trouver un arrangement. On a tout essayé pour le faire changer d'avis, rien à faire. Les juges n'avaient jamais vu un cas pareil. Il leur répétait : « Non messieurs, je ne retire rien. Je suis d'accord sur tout sauf ça. Pourquoi il se vexe ? Qu'est-ce que ça peut lui faire de mal écrire ? Mon opinion le dérange tant que ça ? On peut être quelqu'un de bien et écrire comme un pied. Ça n'a rien à voir avec l'honneur. C'est un type bien, je le reconnais. Il a de la classe, du mérite, du cœur, tout ce que vous voulez, mais il écrit très mal. Je peux dire du bien de son train de vie, de ses talents d'escrimeur ou de cavalier. Mais ses vers ? Non merci. Quand on n'a pas de talent, on devrait s'abstenir d'écrire, sauf si on y est forcé. » Finalement, pour calmer les choses, il a fini par dire : « Désolé d'être si difficile. J'aurais vraiment voulu aimer votre sonnet. » Ils se sont embrassés et l'affaire a été classée.
Non, l'on n'a point vu d'Âme à manier, si dure,
Ni d'Accommodement plus pénible à conclure ;
En vain, de tous côtés, on l'a voulu tourner,
Hors de son Sentiment, on n'a pu l'entraîner ;
Et, jamais, Différend si bizarre, je pense,
N'avait de ces Messieurs, occupé la prudence.
Non, Messieurs, disait-il, je ne me dédis point,
Et tomberai d'accord de tout, hors de ce Point.
De quoi s'offense-t-il ? et que veut-il me dire ?
Y va-t-il de sa gloire, à ne pas bien écrire ?
Que lui fait mon avis, qu'il a pris de travers ?
On peut être honnête Homme, et faire mal des Vers ;
Ce n'est point à l'Honneur, que touchent ces matières,
Je le tiens galant Homme en toutes les manières,
Homme de Qualité, de Mérite et de Coeur,
Tout ce qu'il vous plaira, mais fort méchant Auteur.
Je louerai, si l'on veut, son Train, et sa Dépense,
Son adresse, à Cheval, aux Armes, à la Danse ;
Mais, pour louer ses Vers, je suis son Serviteur ;
Et lorsque d'en mieux faire, on n'a pas le bonheur,
On ne doit, de Rimer, avoir aucune envie,
Qu'on n'y soit condamné, sur peine de la Vie.
Enfin, toute la Grâce, et l'Accommodement,
Où s'est, avec effort, plié son Sentiment,
C'est de dire, croyant adoucir bien son style,
Monsieur, je suis fâché d'être si difficile ;
Et, pour l'amour de vous, je voudrais, de bon coeur,
Avoir trouvé, tantôt, votre Sonnet meilleur ;
Et dans une Embrassade, on leur a, pour conclure,
Fait vite envelopper toute la Procédure.
C'est vrai qu'il est bizarre, mais je l'admire. Sa franchise totale a quelque chose de noble. C'est tellement rare aujourd'hui. J'aimerais que tout le monde soit comme lui.
Dans ses façons d'agir, il est fort singulier,
Mais j'en fais, je l'avoue, un cas particulier ;
Et la sincérité dont son Âme se pique,
A quelque chose, en soi, de noble, et d'héroïque ;
C'est une Vertu rare, au Siècle d'aujourd'hui,
Et je la voudrais voir, partout, comme chez lui.
Plus je le vois, plus son amour me surprend. Avec son caractère, c'est étonnant qu'il soit amoureux. Et encore plus étonnant qu'il ait choisi votre cousine.
Pour moi, plus je le vois, plus, surtout, je m'étonne
De cette Passion où son Coeur s'abandonne :
De l'humeur dont le Ciel a voulu le former,
Je ne sais pas comment il s'avise d'aimer ;
Et je sais moins, encor, comment votre Cousine
Peut être la Personne où son Penchant l'incline.
Ça prouve bien que l'amour ne suit pas la logique. Les caractères compatibles, les affinités naturelles... Dans leur cas, tout ça ne marche pas.
Cela fait assez voir que l'Amour, dans les Coeurs,
N'est pas, toujours, produit par un rapport d'humeurs ;
Et toutes ces raisons de douces Sympathies,
Dans cet Exemple-ci, se trouvent démenties.
Mais vous pensez qu'elle l'aime vraiment ?
Mais, croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir ?
Difficile à dire. Comment savoir ce qu'elle ressent vraiment ? Le cœur ne sait pas toujours ce qu'il veut. On peut aimer sans s'en rendre compte, ou croire qu'on aime alors que c'est faux.
C'est un Point qu'il n'est pas fort aisé de savoir.
Comment pouvoir juger s'il est vrai qu'elle l'aime ?
Son Coeur, de ce qu'il sent, n'est pas bien sûr lui-même ;
Il aime, quelquefois, sans qu'il le sache bien,
Et croit aimer, aussi, parfois, qu'il n'en est rien.
Je crois qu'il va souffrir avec votre cousine, plus qu'il ne le pense. À sa place, je regarderais ailleurs. Il devrait plutôt s'intéresser à vous et à votre bonté.
Je crois que notre Ami, près de cette Cousine,
Trouvera des chagrins plus qu'il ne s'imagine ;
Et s'il avait mon Coeur, à dire vérité,
Il tournerait ses voeux tout d'un autre côté ;
Et par un choix plus juste, on le verrait, Madame,
Profiter des bontés que lui montre votre Âme.
Je suis franche sur ces choses. Je ne suis pas contre son amour pour elle, au contraire, je le soutiens. Si ça ne tenait qu'à moi, je les marierais. Mais si ça ne marchait pas entre eux, si elle en épousait un autre, alors j'accepterais qu'il se tourne vers moi. Son échec avec elle ne me dérangerait pas.
Pour moi, je n'en fais point de façons, et je crois
Qu'on doit, sur de tels Points, être de bonne foi :
Je ne m'oppose point à toute sa tendresse ;
Au contraire, mon Coeur, pour elle, s'intéresse ;
Et si c'était qu'à moi, la chose pût tenir,
Moi-même, à ce qu'il aime, on me verrait l'unir.
Mais, si dans un tel Choix, comme tout se peut faire,
Son Amour éprouvait quelque Destin contraire,
S'il fallait que d'un autre, on couronnât les Feux,
Je pourrais me résoudre à recevoir ses voeux ;
Et le refus souffert, en pareille occurrence,
Ne m'y ferait trouver aucune répugnance.
Je n'ai rien contre vos sentiments pour lui. D'ailleurs, je lui ai déjà dit ce que j'en pensais. Mais s'ils se mariaient et que vous ne pouviez plus l'avoir, alors c'est moi qui tenterais ma chance auprès de vous. J'espère que votre bonté pourrait se tourner vers moi.
Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas,
Madame, à ces bontés qu'ont, pour lui, vos Appas ;
Et lui-même, s'il veut, il peut bien vous instruire
De ce que, là-dessus, j'ai pris soin de lui dire.
Mais si, par un Hymen, qui les joindrait eux deux,
Vous étiez hors d'état de recevoir ses voeux,
Tous les miens tenteraient la faveur éclatante,
Qu'avec tant de bonté, votre Âme lui présente ;
Heureux si, quand son Coeur s'y pourra dérober,
Elle pouvait sur moi, Madame, retomber.
Vous plaisantez, Philinte.
Vous vous divertissez, Philinte.
Non, je suis sérieux. C'est du fond du cœur. J'attends le bon moment pour me déclarer officiellement. J'espère que ce sera bientôt.
Non, Madame,
Et je vous parle, ici, du meilleur de mon Âme ;
J'attends l'occasion de m'offrir hautement,
Et de tous mes souhaits, j'en presse le moment.