Acte 5, scène 2

L'ultimatum

Oronte et Alceste confrontent ensemble Célimène pour exiger qu'elle choisisse entre eux. Les deux rivaux, unis dans leur impatience, se coupent la parole en écho pour forcer une décision publique. Célimène refuse cette mise en demeure brutale, arguant qu'il est cruel de rejeter quelqu'un en face et qu'elle préfère les manières douces. Alceste dénonce sa volonté de ménager tout le monde et exige une réponse claire, menaçant d'interpréter son silence comme un refus. Cette scène de confrontation à trois met en évidence le refus de Célimène de renoncer à son jeu de séduction et l'exaspération des deux hommes face à ses esquives.

Alceste

Alceste
Amoureux de Célimène, ami de Philinte

Célimène

Célimène
Jeune veuve courtisée par Alceste, Oronte, Acaste et Clitandre

Oronte

Oronte
Homme de cour, rival d'Alceste auprès de Célimène

Version Moderne

Version Originale

Oronte
Madame, c'est à vous de décider si vous voulez de moi. J'ai besoin d'une certitude. Un amant ne supporte pas l'hésitation. Si mon amour vous touche, montrez-le clairement. La preuve que j'exige, c'est que vous renvoyiez Alceste. Sacrifiez-le à mon amour et bannissez-le aujourd'hui même.
Oui, c'est à vous, de voir, si par des Nœuds si doux, Madame, vous voulez m'attacher tout à vous : Il me faut de votre Âme, une pleine assurance, Un Amant, là-dessus, n'aime point qu'on balance : Si l'ardeur de mes Feux a pu vous émouvoir, Vous ne devez point feindre à me le faire voir ; Et la preuve, après tout, que je vous en demande, C'est de ne plus souffrir qu'Alceste vous prétende, De le sacrifier, Madame, à mon Amour, Et, de chez vous, enfin, le bannir dès ce jour.
Célimène
Pourquoi cette colère contre lui ? Vous vantiez tant ses mérites avant.
Mais quel sujet si grand, contre lui, vous irrite, Vous, à qui j'ai tant vu parler de son Mérite ?
Oronte
Pas besoin d'explications. Il s'agit de connaître vos sentiments. Choisissez l'un ou l'autre. J'attends votre décision.
Madame, il ne faut point ces éclaircissements, Il s'agit de savoir quels sont vos Sentiments : Choisissez, s'il vous plaît, de garder l'un, ou l'autre, Ma résolution n'attend rien que la vôtre.
Alceste
Monsieur a raison, il faut choisir. Sa demande rejoint la mienne. J'ai la même urgence, le même besoin. Mon amour exige une preuve du vôtre. C'est fini de traîner. C'est le moment de dire ce que vous ressentez.
Oui, Monsieur a raison ; Madame, il faut choisir, Et sa demande, ici, s'accorde à mon désir ; Pareille ardeur me presse, et même soin m'amène, Mon Amour veut du vôtre, une marque certaine. Les Choses ne sont plus pour traîner en longueur, Et voici le moment d'expliquer votre Cœur.
Oronte
Je ne veux pas gêner votre bonheur, Monsieur.
Je ne veux point, Monsieur, d'une Flamme importune, Troubler, aucunement, votre bonne Fortune.
Alceste
Je ne veux rien partager de son cœur avec vous.
Je ne veux point, Monsieur, jaloux, ou non jaloux, Partager de son Cœur, rien du tout avec vous.
Oronte
Si elle préfère votre amour...
Si votre Amour, au mien, lui semble préférable...
Alceste
Si elle a le moindre penchant pour vous...
Si du moindre Penchant elle est pour vous capable...
Oronte
Je renonce à elle.
Je jure de n'y rien prétendre désormais.
Alceste
Je jure de ne plus jamais la voir.
Je jure, hautement, de ne la voir jamais.
Oronte
Madame, parlez librement.
Madame, c'est à vous de parler sans contrainte.
Alceste
Madame, expliquez-vous sans crainte.
Madame, vous pouvez vous expliquer sans crainte.
Oronte
Dites-nous qui vous aimez.
Vous n'avez qu'à nous dire où s'attachent vos vœux.
Alceste
Choisissez entre nous deux.
Vous n'avez qu'à trancher, et choisir de nous deux.
Oronte
Quoi ! Vous hésitez ?
Quoi ! sur un pareil Choix, vous semblez être en peine !
Alceste
Vous êtes indécise ?
Quoi ! votre Âme balance, et paraît incertaine !
Célimène
Cette demande est déplacée ! Vous êtes déraisonnables tous les deux. Je sais qui je préfère, mon cœur n'hésite pas. Le choix est fait depuis longtemps. Mais c'est trop gênant de le dire en face. Ces mots blessants ne devraient pas se dire devant les gens. Un cœur montre assez ses préférences sans qu'on force une rupture brutale. Il y a des façons plus douces de faire comprendre à quelqu'un qu'il n'est pas aimé.
Mon Dieu ! que cette Instance est là, hors de Saison : Et que vous témoignez, tous deux, peu de Raison ! Je sais prendre Parti sur cette Préférence, Et ce n'est pas mon Cœur, maintenant, qui balance : Il n'est point suspendu, sans doute, entre vous deux, Et rien n'est si tôt fait, que le choix de nos vœux. Mais je souffre, à vrai dire, une gêne trop forte, À prononcer en face, un aveu de la sorte : Je trouve que ces Mots, qui sont désobligeants, Ne se doivent point dire en présence des Gens : Qu'un Cœur, de son Penchant, donne assez de lumière, Sans qu'on nous fasse aller, jusqu'à rompre en visière : Et qu'il suffit, enfin, que de plus doux Témoins Instruisent un Amant du malheur de ses Soins.
Oronte
Non, je n'ai pas peur de la vérité. Je la veux.
Non, non, un franc Aveu n'a rien que j'appréhende, J'y consens pour ma part.
Alceste
Moi aussi je l'exige. Je veux une déclaration publique, sans ménagement. Vous voulez toujours plaire à tout le monde. Mais c'est fini les jeux et l'ambiguïté. Expliquez-vous clairement ou votre refus sera ma réponse. Je comprendrai ce silence et j'en tirerai mes conclusions.
Et moi, je le demande ; C'est son éclat, surtout, qu'ici j'ose exiger, Et je ne prétends point vous voir rien ménager. Conserver tout le Monde, est votre grande étude, Mais plus d'amusement, et plus d'incertitude ; Il faut vous expliquer, nettement, là-dessus, Ou bien, pour un Arrêt, je prends votre refus : Je saurai, de ma part, expliquer ce silence, Et me tiendrai pour dit, tout le mal que j'en pense.
Oronte
Merci Monsieur pour cette colère. Je dis exactement comme vous.
Je vous sais fort bon gré, Monsieur, de ce courroux, Et je lui dis, ici, même chose que vous.
Célimène
Vous m'épuisez avec vos caprices ! C'est injuste ce que vous demandez. Je vous ai dit pourquoi je ne peux pas. Éliante arrive, elle sera mon juge.
Que vous me fatiguez avec un tel Caprice ! Ce que vous demandez, a-t-il de la justice : Et ne vous dis-je pas quel Motif me retient ? J'en vais prendre pour Juge, Éliante qui vient.
Molière
Écrit par Molière Suivre