Version Moderne
Version Originale
Madame, nous venons régler une petite affaire avec vous.
Madame, nous venons tous deux, sans vous déplaire,
Éclaircir, avec vous, une petite Affaire.
Messieurs, vous tombez bien, ça vous concerne aussi.
Fort à propos, Messieurs, vous vous trouvez ici,
Et vous êtes mêlés dans cette Affaire, aussi.
Madame, ma visite vous surprend, mais ces messieurs m'ont entraînée. Ils se sont plaints d'une chose que je ne peux croire. J'ai trop d'estime pour vous pour vous croire capable de ça. J'ai refusé leurs preuves et je les ai accompagnés pour vous voir vous disculper de cette calomnie.
Madame, vous serez surprise de ma vue,
Mais ce sont ces Messieurs qui causent ma venue ;
Tous deux ils m'ont trouvée, et se sont plaints à moi,
D'un Trait, à qui mon Cœur ne saurait prêter foi.
J'ai du fond de votre Âme, une trop Haute Estime,
Pour vous croire, jamais, capable d'un tel Crime,
Mes yeux ont démenti leurs Témoins les plus forts :
Et l'Amitié passant sur de petits Discords,
J'ai bien voulu, chez vous, leur faire compagnie,
Pour vous voir vous laver de cette Calomnie.
Voyons comment vous allez vous justifier. Cette lettre à Clitandre, c'est vous qui l'avez écrite ?
Oui, Madame, voyons, d'un Esprit adouci,
Comment vous vous prendrez à soutenir ceci ?
Cette Lettre, par vous, est écrite à Clitandre ?
Et ce billet tendre pour Acaste ?
Vous avez, pour Acaste, écrit ce Billet tendre ?
Messieurs, vous reconnaissez son écriture. Mais ça vaut la peine d'être lu. « Vous êtes bizarre de critiquer ma gaieté et de dire que je ne suis joyeuse que sans vous. C'est injuste. Venez vite vous excuser ou je ne vous pardonnerai jamais. Notre grand vicomte... » Il devrait être là. « ...qui vous agace tant me déplaît. Depuis que je l'ai vu cracher dans un puits pendant trois quarts d'heure pour faire des ronds, je le méprise. Le petit marquis... » C'est moi, messieurs. « ...qui m'a tenu la main hier est insignifiant. Il n'a que son épée pour tout mérite. L'homme aux rubans verts... » À vous, monsieur. « ...m'amuse parfois avec sa mauvaise humeur, mais souvent il m'ennuie à mourir. L'homme à la veste... » Voilà pour vous. « ...qui se prend pour un écrivain m'épuise. Sa prose m'ennuie autant que ses vers. Sachez que je ne m'amuse pas tant que vous croyez. Vous me pesez tous dans ces soirées où on m'entraîne. Seule la présence de ceux qu'on aime rend les plaisirs agréables. »
Messieurs, ces Traits, pour vous, n'ont point d'obscurité,
Et je ne doute pas que sa civilité,
À connaître sa main, n'ait trop su vous instruire :
Mais ceci vaut, assez, la peine de le lire.
Vous êtes un étrange Homme, de condamner mon enjouement, et de me reprocher que je n'ai jamais tant de joie, que lorsque je ne suis pas avec vous. Il n'y a rien de plus injuste ; et si vous ne venez bien vite, me demander pardon de cette Offense, je ne vous la pardonnerai de ma vie. Notre grand Flandrin de Vicomte...
Il devrait être ici.
Notre grand Flandrin de Vicomte, par qui vous commencez vos plaintes, est un Homme qui ne saurait me revenir ; et depuis que je l'ai vu, troisquarts d'heure durant, cracher dans un Puits, pour faire des Ronds, je n'ai pu jamais, prendre bonne opinion de lui. Pour le petit Marquis...
C'est moi-même, Messieurs, sans nulle vanité.
Pour le petit Marquis, qui me tint hier, longtemps, la main, je trouve qu'il n'y a rien de si mince que toute sa Personne ; et ce sont de ces Mérites qui n'ont que la Cape et l'Épée. Pour l'Homme aux Rubans verts...
À vous le Dé, Monsieur.
Pour l'Homme aux Rubans verts, il me divertit quelquefois, avec ses brusqueries, et son chagrin bourru ; mais il est cent moments, où je le trouve le plus fâcheux du Monde. Et pour l'Homme à la Veste...
Voici votre Paquet.
Et pour l'Homme à la Veste, qui s'est jeté dans le bel Esprit, et veut être Auteur malgré tout le Monde, je ne puis me donner la peine d'écouter ce qu'il dit ; et sa Prose me fatigue autant que ses Vers. Mettez-vous, donc, en tête, que je ne me divertis pas toujours si bien que vous pensez ; que je vous trouve à dire plus que je ne voudrais, dans toutes les Parties où l'on m'entraîne ; et que c'est un merveilleux assaisonnement aux Plaisirs qu'on goûte, que la présence des Gens qu'on aime.
À mon tour. « Votre Clitandre qui fait le doucereux est le dernier homme que j'aimerais. Il est fou de croire qu'on l'aime, et vous l'êtes de croire qu'on ne vous aime pas. Échangez vos sentiments contre les siens et venez me voir souvent pour m'aider à supporter son obsession. » Voilà votre vrai visage, madame. Nous allons montrer partout ce beau portrait de votre cœur.
Me voici maintenant, moi.
Votre Clitandre, dont vous me parlez, et qui fait tant le Doucereux, est le dernier des Hommes pour qui j'aurais de l'amitié. Il est extravagant de se persuader qu'on l'aime ; et vous l'êtes, de croire qu'on ne vous aime pas. Changez pour être raisonnable, vos Sentiments contre les siens ; et voyez-moi le plus que vous pourrez, pour m'aider à porter le chagrin d'en être obsédée...
D'un fort beau Caractère, on voit là, le Modèle,
Madame, et vous savez comment cela s'appelle ?
Il suffit, nous allons l'un, et l'autre, en tous Lieux,
Montrer, de votre Cœur, le Portrait glorieux.
J'aurais beaucoup à dire, mais vous ne méritez pas ma colère. Je vous montrerai que les petits marquis trouvent mieux ailleurs.
J'aurais de quoi vous dire, et belle est la Matière,
Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère ;
Et je vous ferai voir, que les petits Marquis
Ont, pour se consoler, des Cœurs du plus haut prix.
Vous me déchirez ainsi après toutes vos lettres d'amour ! Votre cœur se promet à tout le monde ! J'étais trop naïf. Merci de m'ouvrir les yeux. Je récupère mon cœur et ma vengeance sera votre perte. Monsieur, je vous laisse le champ libre avec madame.
Quoi ! de cette façon je vois qu'on me déchire,
Après tout ce qu'à moi, je vous ai vu m'écrire :
Et votre Cœur paré de beaux Semblants d'Amour,
À tout le Genre Humain se promet tour à tour !
Allez, j'étais trop Dupe, et je vais ne plus l'être.
Vous me faites un Bien, me faisant vous connaître ;
J'y profite d'un Cœur, qu'ainsi vous me rendez,
Et trouve ma vengeance, en ce que vous perdez.
Monsieur, je ne fais plus d'obstacle à votre flamme,
Et vous pouvez conclure Affaire avec Madame.
C'est horrible ! Je suis révoltée. A-t-on jamais vu pareille conduite ? Je ne me mêle pas des affaires des autres, mais monsieur qui vous adorait, un homme de cette valeur...
Certes, voilà le Trait du Monde le plus noir,
Je ne m'en saurais taire, et me sens émouvoir.
Voit-on des Procédés qui soient pareils aux vôtres ?
Je ne prends point de part aux intérêts des autres :
Mais, Monsieur, que, chez vous, fixait votre Bonheur,
Un Homme, comme lui, de Mérite et d'Honneur,
Et qui vous chérissait avec idolâtrie,
Devait-il...
Laissez-moi régler mes affaires moi-même. Ne vous donnez pas cette peine inutile. J'apprécie votre soutien mais mon cœur n'est pas disponible. Si je cherche une vengeance, ce ne sera pas avec vous.
Laissez-moi, Madame, je vous prie,
Vider mes intérêts, moi-même, là-dessus,
Et ne vous chargez point de ces Soins superflus.
Mon Cœur a beau vous voir prendre, ici, sa querelle,
Il n'est point en état de payer ce grand zèle ;
Et ce n'est pas à vous, que je pourrai songer,
Si, par un autre Choix, je cherche à me venger.
Vous croyez que je vous veux ? Quelle vanité ! Les restes de madame ne m'intéressent pas. Détrompez-vous et soyez moins arrogant. Je ne suis pas pour vous. Continuez à soupirer pour elle, j'ai hâte de voir cette belle union.
Hé ! Croyez-vous, Monsieur, qu'on ait cette pensée,
Et que, de vous avoir, on soit tant empressée ?
Je vous trouve un Esprit bien plein de vanité,
Si, de cette créance, il peut s'être flatté :
Le Rebut de Madame, est une Marchandise,
Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise.
Détrompez-vous, de grâce, et portez-le moins haut :
Ce ne sont pas des Gens, comme moi, qu'il vous faut ;
Vous ferez bien, encor, de soupirer pour elle,
Et je brûle de voir, une Union si belle.
J'ai tout écouté en silence. J'ai laissé parler tout le monde. Me suis-je assez contrôlé ? Puis-je maintenant...
Hé bien, je me suis tu, malgré ce que je vois,
Et j'ai laissé parler tout le Monde, avant moi.
Ai-je pris sur moi-même, un assez long Empire,
Et puis-je maintenant...
Oui, dites tout. Vous en avez le droit. Reprochez-moi tout. J'ai tort, je l'avoue. Je ne cherche pas d'excuses. Je me moque des autres mais je reconnais ma faute envers vous. Votre colère est justifiée. Je suis coupable, je vous ai trahi, vous avez raison de me haïr. Haïssez-moi.
Oui, vous pouvez tout dire,
Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,
Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.
J'ai tort, je le confesse, et mon Âme confuse
Ne cherche à vous payer, d'aucune vaine excuse :
J'ai des autres, ici, méprisé le courroux,
Mais je tombe d'accord de mon Crime envers vous.
Votre ressentiment, sans doute, est raisonnable,
Je sais combien je dois vous paraître coupable,
Que toute Chose dit, que j'ai pu vous trahir,
Et, qu'enfin, vous avez sujet de me haïr.
Faites-le, j'y consens.
Le puis-je, traîtresse ? Puis-je vaincre ma tendresse ? J'ai beau vouloir vous haïr, mon cœur refuse. Voyez ma faiblesse, vous en êtes témoins. Mais ce n'est pas tout. Je vais aller jusqu'au bout de ma folie. Je veux bien tout oublier, tout pardonner. J'excuserai vos fautes comme des erreurs de jeunesse. Mais à une condition : venez avec moi fuir le monde. Suivez-moi dans ma retraite. C'est le seul moyen de réparer le mal que vous avez fait. Alors seulement je pourrai encore vous aimer.
Hé le puis-je, Traîtresse,
Puis-je, ainsi, triompher de toute ma tendresse ?
Et quoique avec ardeur, je veuille vous haïr,
Trouvé-je un Cœur, en moi, tout prêt à m'obéir ?
Vous voyez ce que peut une indigne Tendresse,
Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encor, tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,
Montrer que c'est à tort, que Sages on nous nomme,
Et que, dans tous les Cœurs, il est toujours de l'Homme.
Oui, je veux bien, Perfide, oublier vos Forfaits,
J'en saurai, dans mon Âme, excuser tous les traits,
Et me les couvrirai du nom d'une Faiblesse,
Où le Vice du Temps, porte votre Jeunesse ;
Pourvu que votre Cœur veuille donner les mains
Au Dessein que j'ai fait de fuir tous les Humains,
Et que, dans mon Désert, où j'ai fait vœu de vivre,
Vous soyez, sans tarder, résolue à me suivre.
C'est par là, seulement, que, dans tous les Esprits,
Vous pouvez réparer le mal de vos Écrits ;
Et qu'après cet éclat, qu'un noble Cœur abhorre,
Il peut m'être permis de vous aimer encore.
Renoncer au monde à mon âge ! M'enterrer dans votre désert !
Moi, renoncer au Monde, avant que de vieillir !
Et dans votre Désert aller m'ensevelir !
Si vous m'aimez vraiment, le reste du monde ne devrait pas compter. Ne suis-je pas suffisant ?
Et s'il faut qu'à mes feux votre Flamme réponde,
Que vous doit importer tout le reste du Monde ?
Vos Désirs, avec moi, ne sont-ils pas contents ?
La solitude fait peur à vingt ans. Je ne suis pas assez forte pour ça. Si le mariage vous suffit, j'accepte...
La Solitude effraye une Âme de vingt ans ;
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un Dessein de la sorte.
Si le Don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels Nœuds :
Et l'Hymen...
Non, maintenant je vous déteste. Ce refus est pire que tout le reste. Vous n'êtes pas capable de tout trouver en moi comme je trouve tout en vous. C'est fini, je vous refuse. Je me libère de vos chaînes. Madame, vous avez toutes les vertus et vous êtes la seule sincère que j'aie connue. Je vous estime depuis longtemps. Mais mon cœur troublé ne peut s'offrir à vous. Je n'en suis pas digne. Le ciel ne m'a pas fait pour vous. Ce serait vous insulter que de vous offrir les restes d'un cœur brisé...
Non, mon Cœur, à présent, vous déteste,
Et ce refus, lui seul, fait plus que tout le reste :
Puisque vous n'êtes point, en des Liens si doux,
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous,
Allez, je vous refuse, et ce sensible Outrage,
De vos indignes Fers, pour jamais me dégage.
Madame, cent Vertus ornent votre Beauté,
Et je n'ai vu, qu'en vous, de la sincérité :
De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême,
Mais laissez-moi, toujours, vous estimer de même :
Et souffrez que mon Cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos Fers ;
Je m'en sens trop indigne, et commence à connaître,
Que le Ciel, pour ce Nœud, ne m'avait point fait naître ;
Que ce serait, pour vous, un Hommage trop bas,
Que le rebut d'un Cœur qui ne vous valait pas :
Et qu'enfin...
Continuez sur cette voie. Ma main est libre et votre ami l'accepterait volontiers si je la lui offrais.
Vous pouvez suivre cette pensée,
Ma Main, de se donner, n'est pas embarrassée ;
Et voilà votre Ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.
Cet honneur est mon plus grand désir. J'y sacrifierais tout.
Ah ! Cet honneur, Madame, est toute mon envie,
Et j'y sacrifierais et mon Sang, et ma Vie.
Soyez heureux ensemble pour toujours. Trahi de tous côtés, écrasé d'injustices, je quitte ce monde où triomphe le vice. Je vais chercher un endroit où on peut être honnête en paix.
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L'un pour l'autre, à jamais, garder ces Sentiments.
Trahi de toutes parts, accablé d'Injustices,
Je vais sortir d'un Gouffre où triomphent les Vices ;
Et chercher sur la Terre, un endroit écarté,
Où d'être Homme d'honneur, on ait la liberté.
Madame, allons tout faire pour l'empêcher de partir.
Allons, Madame, allons employer toute chose,
Pour rompre le Dessein que son Cœur se propose.