Version Moderne
Version Originale
Qu'est-ce que vous faites là ? Votre curiosité est bien grande pour venir nous espionner comme ça.
Que faites-vous là ?
La curiosité qui vous presse, est bien forte,
Mamie, à nous venir écouter de la sorte.
Je ne sais pas si c'est une rumeur ou un hasard, mais on m'a parlé de ce mariage et j'ai dit que c'était n'importe quoi.
Vraiment, je ne sais pas si c'est un bruit qui part
De quelque conjecture, ou d'un coup de hasard ;
Mais de ce mariage on m'a dit la nouvelle,
Et j'ai traité cela de pure bagatelle.
C'est si incroyable que ça ?
Quoi donc, la chose est-elle incroyable ?
Tellement que même venant de vous, monsieur, je n'y crois pas.
À tel point,
Que vous-même, Monsieur, je ne vous en crois point.
Je saurai bien vous faire croire.
Je sais bien le moyen de vous le faire croire.
Oui, oui, c'est une bonne blague.
Oui, oui, vous nous contez une plaisante Histoire.
Je dis ce qui va arriver bientôt.
Je conte justement ce qu'on verra dans peu.
Ma fille, je ne plaisante pas.
Ce que je dis, ma Fille, n'est point jeu.
N'écoutez pas votre père, il se moque.
Allez, ne croyez point à Monsieur votre Père,
Il raille.
Je vous dis...
Je vous dis...
Non, personne ne vous croira.
Non, vous avez beau faire,
On ne vous croira point.
Je vais me fâcher...
À la fin, mon courroux...
Bon, on vous croit alors, et c'est tant pis pour vous. Comment, avec votre air sage et votre grande barbe, pouvez-vous être assez fou pour...
Hé bien on vous croit donc, et c'est tant pis pour vous.
Quoi ! se peut-il, Monsieur, qu'avec l'air d'Homme sage,
Et cette large barbe au milieu du visage,
Vous soyez assez fou pour vouloir...
Écoutez, vous prenez des libertés ici qui ne me plaisent pas du tout.
Écoutez.
Vous avez pris céans certaines privautés
Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, Mamie.
Parlons calmement, monsieur. Vous vous moquez du monde avec ce projet ? Votre fille n'est pas faite pour un bigot. Il a autre chose à faire. Et puis, qu'est-ce que cette alliance vous apporte ? Pourquoi, avec votre fortune, choisir un gendre sans le sou ?
Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie.
Vous moquez-vous des Gens, d'avoir fait ce complot ?
Votre Fille n'est point l'affaire d'un Bigot.
Il a d'autres emplois auxquels il faut qu'il pense ;
Et puis, que vous apporte une telle alliance ?
À quel sujet aller, avec tout votre bien,
Choisir un Gendre gueux...
Taisez-vous. S'il est pauvre, c'est justement pour ça qu'on doit le respecter. Sa pauvreté est noble, elle l'élève au-dessus des riches parce qu'il a négligé les biens terrestres pour se consacrer à Dieu. Mais mon aide lui permettra de récupérer ses terres. C'est un vrai gentilhomme avec des fiefs reconnus.
Taisez-vous. S'il n'a rien,
Sachez que c'est par là, qu'il faut qu'on le révère.
Sa misère est sans doute une honnête misère.
Au-dessus des grandeurs elle doit l'élever,
Puisque enfin de son bien il s'est laissé priver
Par son trop peu de soin des choses temporelles,
Et sa puissante attache aux choses éternelles.
Mais mon secours pourra lui donner les moyens
De sortir d'embarras, et rentrer dans ses biens.
Ce sont Fiefs qu'à bon titre au Pays on renomme ;
Et tel que l'on le voit, il est bien Gentilhomme.
C'est lui qui le dit, et cette vanité ne va pas avec la piété. Un saint homme ne devrait pas vanter sa noblesse, l'humilité religieuse s'accommode mal de l'orgueil. Mais laissons ça, parlons de lui. Comment donner une fille comme elle à un homme comme lui ? Pensez aux convenances et aux conséquences ! Une fille qu'on marie contre son gré risque de mal tourner. Les maris qu'on montre du doigt font souvent des femmes infidèles. C'est dur d'être fidèle à certains maris. Si vous donnez à votre fille un homme qu'elle déteste, vous serez responsable devant Dieu de ses fautes. Pensez aux dangers !
Oui, c'est lui qui le dit ; et cette vanité,
Monsieur, ne sied pas bien avec la Piété.
Qui d'une sainte vie embrasse l'innocence,
Ne doit point tant prôner son nom, et sa naissance ;
Et l'humble procédé de la Dévotion,
Souffre mal les éclats de cette ambition.
À quoi bon cet orgueil... Mais ce discours vous blesse,
Parlons de sa Personne, et laissons sa Noblesse.
Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d'ennui,
D'une Fille comme elle, un Homme comme lui ?
Et ne devez-vous pas songer aux bienséances,
Et de cette union prévoir les conséquences ?
Sachez que d'une Fille on risque la vertu,
Lorsque dans son hymen son goût est combattu ;
Que le dessein d'y vivre en honnête Personne,
Dépend des qualités du Mari qu'on lui donne ;
Et que ceux dont partout on montre au doigt le front,
Font leurs Femmes souvent, ce qu'on voit qu'elles sont.
Il est bien difficile enfin d'être fidèle
À de certains Maris faits d'un certain modèle ;
Et qui donne à sa Fille un Homme qu'elle hait,
Est responsable au Ciel des fautes qu'elle fait.
Songez à quels périls votre dessein vous livre.
C'est moi qui vais lui apprendre à vivre.
Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre.
Vous feriez mieux de m'écouter.
Vous n'en feriez que mieux, de suivre mes leçons.
Arrêtons ces bêtises, ma fille. Je sais ce qui est bon pour toi, je suis ton père. J'avais promis à Valère, mais on dit qu'il joue et je le soupçonne d'être libertin. Je ne le vois jamais à l'église.
Ne nous amusons point, ma Fille, à ces chansons ;
Je sais ce qu'il vous faut, et je suis votre Père.
J'avais donné pour vous ma parole à Valère ;
Mais outre qu'à jouer on dit qu'il est enclin,
Je le soupçonne encor d'être un peu libertin ;
Je ne remarque point qu'il hante les églises.
Vous voulez qu'il y aille à heures fixes comme ceux qui n'y vont que pour être vus ?
Voulez-vous qu'il y coure à vos heures précises,
Comme ceux qui n'y vont que pour être aperçus ?
Je ne vous demande pas votre avis. Tartuffe est béni du ciel, c'est une richesse incomparable. Ce mariage vous comblera de bonheur. Tout sera douceur et plaisir. Vous vivrez comme deux tourtereaux, jamais de disputes, et tu feras de lui ce que tu voudras.
Je ne demande pas votre avis là-dessus.
Enfin, avec le Ciel, l'autre est le mieux du monde,
Et c'est une richesse à nulle autre seconde.
Cet hymen, de tous biens, comblera vos désirs.
Il sera tout confit en douceurs, et plaisirs.
Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles,
Comme deux vrais Enfants, comme deux Tourterelles.
À nul fâcheux débat jamais vous n'en viendrez,
Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.
Elle ? Elle en fera un cocu, c'est sûr.
Elle ? Elle n'en fera qu'un Sot, je vous assure.
Qu'est-ce que vous dites ?
Ouais, quels discours !
Je dis qu'il a la tête de l'emploi et que son destin sera plus fort que toute la vertu de votre fille.
Je dis qu'il en a l'encolure,
Et que son ascendant, Monsieur, l'emportera
Sur toute la vertu que votre Fille aura.
Arrêtez de m'interrompre et taisez-vous ! Ne vous mêlez pas de ce qui ne vous regarde pas.
Cessez de m'interrompre, et songez à vous taire,
Sans mettre votre nez où vous n'avez que faire.
Je ne parle que pour votre bien, monsieur.
Je n'en parle, Monsieur, que pour votre intérêt.
C'est trop de souci. Taisez-vous.
C'est prendre trop de soin ; taisez-vous, s'il vous plaît.
Si on ne vous aimait pas...
Si l'on ne vous aimait...
Je ne veux pas qu'on m'aime.
Je ne veux pas qu'on m'aime.
Je vous aimerai quand même, monsieur.
Et je veux vous aimer, Monsieur, malgré vous-même.
Votre honneur m'importe et je ne veux pas qu'on se moque de vous.
Votre honneur m'est cher, et je ne puis souffrir
Qu'aux brocards d'un chacun vous alliez vous offrir.
Vous allez vous taire ?
Vous ne vous tairez point ?
Ma conscience m'interdit de vous laisser faire cette bêtise.
C'est une conscience,
Que de vous laisser faire une telle alliance.
Tu vas te taire, serpent, avec ton insolence...
Te tairas-tu, Serpent, dont les traits effrontés...
Ah ! Vous êtes dévot et vous vous mettez en colère ?
Ah ! vous êtes Dévot, et vous vous emportez ?
Oui, ces bêtises m'énervent. Je veux que tu te taises, un point c'est tout.
Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaises,
Et, tout résolument, je veux que tu te taises.
D'accord. Mais je pense quand même.
Soit. Mais ne disant mot, je n'en pense pas moins.
Pense si tu veux, mais ne dis rien ou... ça suffit. J'ai mûrement réfléchi à tout.
Pense, si tu le veux ; mais applique tes soins
À ne m'en point parler, ou... suffit.
Comme sage,
J'ai pesé mûrement toutes choses.
Ça me tue de ne pas pouvoir parler.
J'enrage
De ne pouvoir parler.
Sans être beau garçon, Tartuffe est bien fait...
Sans être Damoiseau,
Tartuffe est fait de sorte...
Oui, une belle tronche.
Oui, c'est un beau museau.
Même sans considérer ses autres qualités...
Que quand tu n'aurais même aucune sympathie
Pour tous les autres dons...
La pauvre ! Si j'étais elle, aucun homme ne m'épouserait de force sans le payer. Je lui montrerais vite qu'une femme sait se venger.
La voilà bien lotie.
Si j'étais en sa place, un Homme assurément
Ne m'épouserait pas de force, impunément ;
Et je lui ferais voir bientôt, après la fête,
Qu'une Femme a toujours une vengeance prête.
Alors on se moque de ce que je dis ?
Donc, de ce que je dis, on ne fera nul cas ?
De quoi vous plaignez-vous ? Je ne vous parle pas.
De quoi vous plaignez-vous ? je ne vous parle pas.
Qu'est-ce que tu fais alors ?
Qu'est-ce que tu fais donc ?
Je me parle à moi-même.
Je me parle à moi-même.
Très bien. Pour punir ton insolence, je vais te gifler. Ma fille, tu dois approuver mon choix... Le mari que j'ai choisi... Pourquoi tu ne te parles plus ?
Fort bien. Pour châtier son insolence extrême,
Il faut que je lui donne un revers de ma main.
Ma Fille, vous devez approuver mon dessein...
Croire que le Mari... que j'ai su vous élire...
Que ne te parles-tu ?
Je n'ai rien à me dire.
Je n'ai rien à me dire.
Juste un mot.
Encore un petit mot.
Ça ne me dit rien.
Il ne me plaît pas, moi.
Je t'attendais au tournant.
Certes, je t'y guettais.
Quelle idiote je serais.
Quelque sotte, ma foi.
Bref, ma fille, tu dois obéir et accepter totalement mon choix.
Enfin, ma Fille, il faut payer d'obéissance,
Et montrer, pour mon choix, entière déférence.
Je serais bien bête d'accepter un tel mari.
Je me moquerais fort, de prendre un tel Époux.
Ma fille, cette peste me rend fou, je ne peux plus la supporter. Son insolence m'a mis hors de moi. Je vais prendre l'air pour me calmer.
Vous avez là, ma Fille, une peste avec vous,
Avec qui, sans péché, je ne saurais plus vivre.
Je me sens hors d'état maintenant de poursuivre,
Ses discours insolents m'ont mis l'esprit en feu,
Et je vais prendre l'air, pour me rasseoir un peu.