Version Moderne
Version Originale
Vous avez perdu votre langue ? Je dois parler à votre place ? Vous laissez votre père vous proposer cette folie sans dire un mot !
Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole ?
Et faut-il qu'en ceci je fasse votre rôle ?
Souffrir qu'on vous propose un projet insensé,
Sans que du moindre mot vous l'ayez repoussé !
Que veux-tu que je fasse contre un père autoritaire ?
Contre un Père absolu, que veux-tu que je fasse ?
Ce qu'il faut pour éviter ce danger.
Ce qu'il faut pour parer une telle menace.
Lui dire qu'on n'aime pas sur commande, que tu te maries pour toi, pas pour lui. C'est toi qui vas vivre avec le mari, c'est à toi qu'il doit plaire. Si Tartuffe lui plaît tant, qu'il l'épouse lui-même !
Lui dire qu'un cœur n'aime point par autrui ;
Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui ;
Qu'étant celle pour qui se fait toute l'affaire,
C'est à vous, non à lui, que le Mari doit plaire ;
Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant,
Il le peut épouser, sans nul empêchement.
Un père a tellement d'autorité que je n'ai jamais osé rien dire.
Un Père, je l'avoue, a sur nous tant d'empire,
Que je n'ai jamais eu la force de rien dire.
Parlons clairement. Valère vous courtise. L'aimez-vous ou pas ?
Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas ;
L'aimez-vous, je vous prie, ou ne l'aimez-vous pas ?
C'est injuste de me demander ça, Dorine ! Je t'ai confié mes sentiments cent fois. Tu sais comme je l'aime !
Ah ! qu'envers mon amour, ton injustice est grande,
Dorine ! Me dois-tu faire cette demande ?
T'ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur ?
Et sais-tu pas, pour lui, jusqu'où va mon ardeur ?
Comment savoir si tu es sincère et si tu l'aimes vraiment ?
Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche,
Et si c'est tout de bon que cet Amant vous touche ?
Tu me blesses en doutant. Mes sentiments sont évidents.
Tu me fais un grand tort, Dorine, d'en douter,
Et mes vrais sentiments ont su trop éclater.
Alors, tu l'aimes ?
Enfin, vous l'aimez donc ?
Oui, passionnément.
Oui, d'une ardeur extrême.
Et il t'aime aussi ?
Et selon l'apparence, il vous aime de même ?
Et vous voulez tous les deux vous marier ?
Et tous deux brûlez également
De vous voir mariés ensemble ?
Et pour ce mariage avec Tartuffe, qu'est-ce que tu comptes faire ?
Sur cette autre union, quelle est donc votre attente ?
Me tuer si on me force.
De me donner la mort, si l'on me violente.
Excellente idée ! Il suffit de mourir pour régler le problème. Quel remède génial ! Ça m'énerve d'entendre ces bêtises.
Fort bien. C'est un recours où je ne songeais pas ;
Vous n'avez qu'à mourir, pour sortir d'embarras,
Le remède sans doute est merveilleux. J'enrage,
Lorsque j'entends tenir ces sortes de langage.
Mon Dieu, Dorine, quelle humeur ! Tu n'as aucune compassion.
Mon Dieu, de quelle humeur, Dorine, tu te rends !
Tu ne compatis point aux déplaisirs des Gens.
Je n'ai pas de compassion pour qui dit des sottises et se laisse faire.
Je ne compatis point à qui dit des sornettes,
Et dans l'occasion mollit comme vous faites.
Mais que veux-tu ? Je suis timide.
Mais que veux-tu ? si j'ai de la timidité.
L'amour demande du courage.
Mais l'amour dans un cœur veut de la fermeté.
J'en ai pour Valère ! Et c'est à lui de convaincre mon père.
Mais n'en gardé-je pas pour les feux de Valère ?
Et n'est-ce pas à lui de m'obtenir d'un Père ?
Si ton père est un têtu obsédé par Tartuffe qui rompt sa promesse, est-ce la faute de Valère ?
Mais quoi ! si votre Père est un Bourru fieffé,
Qui s'est de son Tartuffe entièrement coiffé,
Et manque à l'union qu'il avait arrêtée,
La faute à votre Amant doit-elle être imputée ?
Si je refuse avec éclat, je montrerai que je suis trop amoureuse. Dois-je manquer à la pudeur et au devoir d'une fille ? Veux-tu que tout le monde sache...
Mais par un haut refus, et d'éclatants mépris,
Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris ?
Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,
De la pudeur du Sexe, et du devoir de Fille ?
Et veux-tu que mes feux par le monde étalés...
Bon, je ne veux rien. Tu veux épouser Tartuffe, j'aurais tort de t'en empêcher. C'est un excellent parti ! Monsieur Tartuffe, quel homme ! Ce n'est pas n'importe qui. Quelle chance d'être sa femme ! Tout le monde l'admire, il est noble, bien fait, avec ses oreilles rouges et son teint fleuri. Tu seras si heureuse !
Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez
Être à Monsieur Tartuffe ; et j'aurais, quand j'y pense,
Tort de vous détourner d'une telle alliance.
Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ?
Le Parti, de soi-même, est fort avantageux.
Monsieur Tartuffe ! oh, oh, n'est-ce rien qu'on propose ?
Certes, Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose,
N'est pas un Homme, non, qui se mouche du pied,
Et ce n'est pas peu d'heur, que d'être sa Moitié.
Tout le monde déjà de gloire le couronne,
Il est Noble chez lui, bien fait de sa Personne,
Il a l'oreille rouge, et le teint bien fleuri ;
Vous vivrez trop contente avec un tel Mari.
Quelle joie d'être la femme d'un si bel homme !
Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme,
Quand d'un Époux si beau vous vous verrez la Femme !
Arrête, je t'en prie ! Aide-moi contre ce mariage. Je me rends, je ferai tout ce que tu veux.
Ha, cesse, je te prie, un semblable discours,
Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.
C'en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire.
Non, une fille doit obéir à son père, même s'il lui donne un singe. Ton sort est magnifique ! Tu iras en diligence dans sa petite ville pleine d'oncles et de cousins. Tu t'amuseras tellement ! Tu rendras visite à madame la baillive et madame l'élue qui te feront asseoir sur un tabouret. Au carnaval, tu auras droit au bal avec deux cornemuses et parfois des marionnettes. Si ton mari...
Non, il faut qu'une Fille obéisse à son Père,
Voulût-il lui donner un Singe pour Époux.
Votre sort est fort beau, de quoi vous plaignez-vous ?
Vous irez par le Coche en sa petite Ville,
Qu'en Oncles, et Cousins, vous trouverez fertile ;
Et vous vous plairez fort à les entretenir.
D'abord chez le beau Monde on vous fera venir.
Vous irez visiter, pour votre bienvenue,
Madame la Baillive, et Madame l'Élue,
Qui d'un Siège pliant vous feront honorer.
Là, dans le Carnaval, vous pourrez espérer
Le Bal, et la Grand'Bande, à savoir, deux Musettes,
Et, parfois, Fagotin, et les Marionnettes.
Si pourtant votre Époux...
Arrête ! Tu me tues. Aide-moi plutôt.
Ah ! tu me fais mourir.
De tes conseils, plutôt, songe à me secourir.
Je ne peux rien pour vous.
Je suis votre Servante.
Dorine, je t'en prie...
Eh, Dorine, de grâce...
Tu mérites ce mariage pour te punir.
Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe.
Ma chère Dorine !
Ma pauvre Fille !
Si je dis mes sentiments...
Si mes vœux déclarés...
Non. Tartuffe est ton homme, tu vas voir.
Point, Tartuffe est votre Homme, et vous en tâterez.
Tu sais que j'ai toujours compté sur toi. Aide-moi...
Tu sais qu'à toi toujours je me suis confiée.
Fais-moi...
Non, tu seras madame Tartuffe.
Non ; vous serez, ma foi, Tartuffiée.
Puisque mon sort te laisse froide, laisse-moi à mon désespoir. Il m'aidera à trouver le remède infaillible à mes malheurs.
Hé bien, puisque mon sort ne saurait t'émouvoir,
Laisse-moi désormais toute à mon désespoir.
C'est de lui que mon cœur empruntera de l'aide,
Et je sais, de mes maux, l'infaillible remède.
Bon, bon, reviens. Je ne suis plus fâchée. Je vais t'aider malgré tout.
Hé, là, là, revenez ; je quitte mon courroux.
Il faut, nonobstant tout, avoir pitié de vous.
Si on me force à ce mariage, Dorine, je mourrai, c'est sûr.
Vois-tu, si l'on m'expose à ce cruel martyre,
Je te le dis, Dorine, il faudra que j'expire.
Ne t'inquiète pas, on peut empêcher... Mais voilà Valère.
Ne vous tourmentez point, on peut adroitement
Empêcher... Mais voici Valère votre Amant.