Acte III, scène 7

Tartuffe devient l'héritier

Seul avec Orgon, Tartuffe joue la comédie de la souffrance, prétendant être au bord de la mort à cause de l'ingratitude de Damis. Il feint de vouloir partir pour éviter d'autres conflits. Orgon, complètement manipulé, supplie Tartuffe de rester. Pour prouver sa confiance et défier sa famille, il prend des décisions extrêmes. Tartuffe devient l'unique héritier d'Orgon (déshéritant ainsi toute la famille) et il deviendra son gendre en épousant Mariane. Orgon va immédiatement faire rédiger l'acte de donation Tartuffe accepte avec une fausse humilité. L'acte III se termine sur le triomphe apparent de Tartuffe qui a réussi à retourner complètement la situation à son avantage.

Orgon

Orgon
Mari d'Elmire, père de Damis et de Mariane

Tartuffe

Tartuffe
Imposteur et faux dévot

Version Moderne

Version Originale

Orgon
Offenser ainsi un saint homme !
Offenser de la sorte une sainte Personne !
Tartuffe
Ô ciel, pardonne-lui la douleur qu'il me cause. Si vous saviez comme je souffre de voir qu'on essaie de me noircir à vos yeux...
Ô Ciel ! pardonne-lui la douleur qu'il me donne. Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir Je vois qu'envers mon Frère, on tâche à me noircir...
Orgon
Hélas !
Hélas !
Tartuffe
Cette ingratitude me fait tellement souffrir... L'horreur que j'en ressens... J'ai le cœur si serré que je ne peux plus parler. Je crois que j'en mourrai.
Le seul penser de cette ingratitude Fait souffrir à mon âme un supplice si rude... L'horreur que j'en conçois... J'ai le cœur si serré, Que je ne puis parler, et crois que j'en mourrai.
Orgon
Ce coquin ! Je regrette de ne pas l'avoir assommé tout de suite. Remettez-vous, mon frère, ne vous fâchez pas.
Coquin. Je me repens que ma main t'ait fait grâce, Et ne t'ait pas d'abord assommé sur la place. Remettez-vous, mon Frère, et ne vous fâchez pas.
Tartuffe
Arrêtons ces débats pénibles. Je vois les troubles que je cause ici, je crois qu'il faut que je parte.
Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats. Je regarde céans quels grands troubles j'apporte, Et crois qu'il est besoin, mon Frère, que j'en sorte.
Orgon
Comment ? Vous plaisantez ?
Comment ? Vous moquez-vous ?
Tartuffe
On me déteste ici et on cherche à vous faire douter de moi.
On m'y hait, et je vois Qu'on cherche à vous donner des soupçons de ma foi.
Orgon
Qu'importe ! Est-ce que je les écoute ?
Qu'importe ; Voyez-vous que mon cœur les écoute ?
Tartuffe
Ils continueront, c'est sûr. Ces accusations que vous rejetez aujourd'hui, peut-être les écouterez-vous un jour.
On ne manquera pas de poursuivre, sans doute ; Et ces mêmes rapports, qu'ici vous rejetez, Peut-être, une autre fois, seront-ils écoutés.
Orgon
Non, mon frère, jamais.
Non, mon Frère, jamais.
Tartuffe
Ah, mon frère, une femme peut facilement influencer son mari.
Ah ! mon Frère, une Femme Aisément, d'un Mari, peut bien surprendre l'âme.
Orgon
Non, non.
Non, non.
Tartuffe
Laissez-moi partir pour leur enlever tout prétexte de m'attaquer.
Laissez-moi vite, en m'éloignant d'ici, Leur ôter tout sujet de m'attaquer ainsi.
Orgon
Non, vous restez, j'y tiens absolument.
Non, vous demeurerez, il y va de ma vie.
Tartuffe
Eh bien, je devrai me sacrifier. Pourtant, si vous vouliez...
Hé bien, il faudra donc que je me mortifie. Pourtant, si vous vouliez...
Orgon
Ah !
Ah !
Tartuffe
Soit, n'en parlons plus. Mais je sais ce qu'il faut faire. L'honneur est délicat et l'amitié m'oblige à éviter les rumeurs. Je fuirai votre épouse et vous ne me verrez plus...
Soit, n'en parlons plus. Mais je sais comme il faut en user là-dessus. L'honneur est délicat, et l'amitié m'engage À prévenir les bruits, et les sujets d'ombrage. Je fuirai votre Épouse, et vous ne me verrez...
Orgon
Non, au contraire, vous la fréquenterez pour faire enrager tout le monde. Je veux qu'on vous voie ensemble constamment. Et ce n'est pas tout : pour les défier tous, vous serez mon seul héritier. Je vais tout de suite vous donner tous mes biens. Un ami sincère que je prends pour gendre m'est plus cher que fils, femme et parents. Acceptez-vous ?
Non, en dépit de tous, vous la fréquenterez. Faire enrager le monde, est ma plus grande joie, Et je veux qu'à toute heure avec elle on vous voie. Ce n'est pas tout encor ; pour les mieux braver tous, Je ne veux point avoir d'autre héritier que vous ; Et je vais de ce pas, en fort bonne manière, Vous faire de mon bien, donation entière. Un bon et franc Ami, que pour Gendre je prends, M'est bien plus cher que Fils, que Femme, et que Parents. N'accepterez-vous pas ce que je vous propose ?
Tartuffe
Que la volonté du ciel soit faite.
La volonté du Ciel soit faite en toute chose.
Orgon
Le pauvre homme ! Allons vite rédiger l'acte. Que les envieux en crèvent de rage !
Le pauvre Homme ! Allons vite en dresser un Écrit, Et que puisse l'Envie en crever de dépit.
Molière
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