Acte V, scène 7

Le dénouement royal

Le coup de théâtre final. Tartuffe arrive triomphant avec l'officier royal pour arrêter Orgon, jouant jusqu'au bout son rôle de serviteur zélé du roi ("Je sacrifierais tout pour lui !"). Mais le retournement est spectaculaire : c'est lui que l'officier arrête ! Le roi omniscient (allégorie de Louis XIV) a tout vu, tout compris. Il connaissait déjà Tartuffe comme criminel sous un autre nom et l'a laissé aller au bout de sa trahison pour mieux le confondre. Dans un geste de justice parfaite, le roi annule la donation, pardonne Orgon pour la cassette compromettante, et récompense ses services passés. Cléante, fidèle à lui-même, empêche Orgon de s'acharner sur le vaincu et prêche le pardon chrétien. La pièce se termine sur une double célébration : la reconnaissance envers le roi justicier et l'annonce du mariage de Mariane avec Valère. Le dénouement "deus ex machina" par l'intervention royale résout tout : Molière flatte Louis XIV tout en délivrant sa morale - la vraie justice divine (incarnée par le roi) triomphe toujours de l'hypocrisie religieuse.

Tartuffe

Tartuffe
Imposteur et faux dévot

Orgon

Orgon
Mari d'Elmire, père de Damis et de Mariane

Cléante

Cléante
Beau-frère d'Orgon,

Damis

Damis
Fils d'Orgon

Mariane

Mariane
Fille d'Orgon; amoureuse de Valère

Elmire

Elmire
Epouse d'Orgon

Dorine

Dorine
Servante de Mariane

Exempt

Exempt
Officier de police royale

Madame Pernelle

Madame Pernelle
Mère d'Orgon

Version Moderne

Version Originale

Tartuffe
Doucement ! Pas si vite. Au nom du roi, vous êtes arrêté.
Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite, Vous n'irez pas fort loin, pour trouver votre gîte, Et de la part du Prince, on vous fait prisonnier.
Orgon
Traître ! C'est ton coup final, le sommet de tes trahisons !
Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier. C'est le coup, Scélérat, par où tu m'expédies, Et voilà couronner toutes tes perfidies.
Tartuffe
Vos insultes ne m'atteignent pas, je souffre tout pour le Ciel.
Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir, Et je suis, pour le Ciel, appris à tout souffrir.
Cléante
Quelle modération admirable !
La modération est grande, je l'avoue.
Damis
Il se moque du Ciel, l'infâme !
Comme du Ciel, l'Infâme, impudemment se joue !
Tartuffe
Je ne fais que mon devoir.
Tous vos emportements ne sauraient m'émouvoir, Et je ne songe à rien, qu'à faire mon devoir.
Mariane
Quelle gloire de dénoncer votre bienfaiteur !
Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre, Et cet emploi pour vous, est fort honnête à prendre.
Tartuffe
C'est glorieux de servir le roi.
Un emploi ne saurait être que glorieux, Quand il part du pouvoir qui m'envoie en ces lieux.
Orgon
Ingrat ! J'ai oublié que je t'ai sauvé de la misère ?
Mais t'es-tu souvenu que ma main charitable, Ingrat, t'a retiré d'un état misérable ?
Tartuffe
Je sais ce que je vous dois, mais le devoir envers le roi passe avant tout. Je sacrifierais amis, famille, tout pour lui !
Oui, je sais quels secours j'en ai pu recevoir ; Mais l'intérêt du Prince est mon premier devoir ! De ce devoir sacré, la juste violence Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance ; Et je sacrifierais à de si puissants nœuds, Ami, Femme, Parents, et moi-même avec eux.
Elmire
L'imposteur !
L'Imposteur !
Dorine
Il déguise sa trahison en devoir sacré !
Comme il sait, de traîtresse manière, Se faire un beau manteau de tout ce qu'on révère !
Cléante
Si votre zèle est si pur, pourquoi n'avez-vous dénoncé qu'après avoir été chassé ? Et pourquoi avez-vous accepté ses biens si c'est un traître ?
Mais s'il est si parfait que vous le déclarez, Ce zèle qui vous pousse, et dont vous vous parez ; D'où vient que pour paraître, il s'avise d'attendre, Qu'à poursuivre sa Femme, il ait su vous surprendre ? Et que vous ne songez à l'aller dénoncer, Que lorsque son honneur l'oblige à vous chasser ? Je ne vous parle point, pour devoir en distraire, Du don de tout son bien qu'il venait de vous faire : Mais le voulant traiter en coupable aujourd'hui, Pourquoi consentiez-vous à rien prendre de lui ?
Tartuffe
Monsieur l'officier, faites-les taire et exécutez votre ordre !
Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie, Et daignez accomplir votre Ordre, je vous prie.
Exempt
Vous avez raison, j'exécute l'ordre. Suivez-moi en prison.
Oui, c'est trop demeurer, sans doute, à l'accomplir. Votre bouche à propos m'invite à le remplir ; Et pour l'exécuter, suivez-moi tout à l'heure Dans la Prison qu'on doit vous donner pour demeure.
Tartuffe
Moi ?
Qui, moi, Monsieur ?
Exempt
Oui, vous.
Oui, vous.
Tartuffe
Pourquoi la prison ?
Pourquoi donc la Prison ?
Exempt
Rassurez-vous, Monsieur. Notre roi voit tout et ne se laisse pas tromper. Il a tout de suite percé à jour ce fourbe. En venant vous dénoncer, Tartuffe s'est trahi - le roi le connaissait déjà sous un autre nom comme criminel notoire. Le roi m'a laissé venir avec lui pour voir jusqu'où irait son audace. Je reprends tous vos papiers, j'annule la donation, et le roi vous pardonne pour la cassette d'Argas. Il se souvient de vos services passés. Le roi récompense toujours le bien et punit le mal.
Ce n'est pas vous à qui j'en veux rendre raison. Remettez-vous, Monsieur, d'une alarme si chaude. Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude, Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs, Et que ne peut tromper tout l'art des Imposteurs. D'un fin discernement, sa grande âme pourvue, Sur les choses toujours jette une droite vue, Chez elle jamais rien ne surprend trop d'accès, Et sa ferme raison ne tombe en nul excès. Il donne aux Gens de bien une gloire immortelle, Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle, Et l'amour pour les vrais, ne ferme point son cœur À tout ce que les faux doivent donner d'horreur. Celui-ci n'était pas pour le pouvoir surprendre, Et de pièges plus fins on le voit se défendre. D'abord il a percé, par ses vives clartés, Des replis de son cœur, toutes les lâchetés. Venant vous accuser, il s'est trahi lui-même, Et par un juste trait de l'équité suprême, S'est découvert au Prince un Fourbe renommé, Dont sous un autre nom il était informé ; Et c'est un long détail d'actions toutes noires, Dont on pourrait former des Volumes d'Histoires. Ce Monarque, en un mot, a vers vous détesté Sa lâche ingratitude, et sa déloyauté ; À ses autres horreurs, il a joint cette suite, Et ne m'a, jusqu'ici, soumis à sa conduite, Que pour voir l'impudence aller jusques au bout, Et vous faire, par lui, faire raison de tout. Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître, Il veut qu'entre vos mains, je dépouille le Traître. D'un souverain pouvoir il brise les liens Du Contrat qui lui fait un don de tous vos biens, Et vous pardonne enfin cette offense secrète Où vous a, d'un Ami, fait tomber la retraite ; Et c'est le prix qu'il donne au zèle qu'autrefois On vous vit témoigner, en appuyant ses droits ; Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense, D'une bonne action verser la récompense ; Que jamais le mérite, avec lui, ne perd rien, Et que mieux que du mal, il se souvient du bien.
Dorine
Dieu soit loué !
Que le Ciel soit loué !
Madame Pernelle
Je respire enfin !
Maintenant je respire.
Elmire
Quel soulagement !
Favorable succès !
Mariane
Qui l'aurait cru ?
Qui l'aurait osé dire ?
Orgon
Alors, traître...
Hé bien, te voilà, Traître...
Cléante
Arrête, mon frère ! Ne t'abaisse pas. Laisse-le à son sort. Souhaite plutôt qu'il se repente et que le roi soit clément. Va remercier le roi pour sa bonté.
Ah ! mon Frère, arrêtez, Et ne descendez point à des indignités. À son mauvais destin laissez un misérable, Et ne vous joignez point au remords qui l'accable. Souhaitez bien plutôt, que son cœur, en ce jour, Au sein de la Vertu fasse un heureux retour ; Qu'il corrige sa vie, en détestant son vice, Et puisse du grand Prince adoucir la justice ; Tandis qu'à sa bonté vous irez à genoux, Rendre ce que demande un traitement si doux.
Orgon
Tu as raison. Allons remercier le roi. Puis nous marierons Mariane avec Valère, ce loyal amant qui mérite notre reconnaissance.
Oui, c'est bien dit ; allons à ses pieds, avec joie, Nous louer des bontés que son cœur nous déploie : Puis acquittés un peu de ce premier devoir, Aux justes soins d'un autre, il nous faudra pourvoir ; Et par un doux hymen, couronner en Valère, La flamme d'un Amant généreux, et sincère.
Molière
Écrit par Molière Suivre