Nous avons reçu Sganarelle personnage principal du Médecin Malgré Lui, bucheron de son état et médecin par opportunité, un soir d’automne dans l’Illustre Théâtre du faubourg Saint-Germain. Il a eu la gentillesse de répondre à quelques-unes de nos questions sur l’amour, la médecine ou la place des femmes dans la société.
Moliere.love : Bonsoir Monsieur Sganarelle, merci de votre accueil dans ce lieu si symbolique qu’est l’Illustre Théâtre. Commençons par une question qui vous tiens surement à coeur.
M.l : Quelles sont les qualités requises pour être un bon médecin ?
Sganarelle : Je vous dirai que pour porter le titre de médecin, plusieurs qualités sont de nécessité. Il faut premièrement avoir un visage qui ne trahisse point la simplicité, une assurance qui défie le doute et une capacité à soutenir de hardis discours sur toutes sortes de mystères corporels.
Une belle robe longue, un latin macaronique à souhait et une barbe de gravité contribuent aussi à l’effet de science. Mais la qualité la plus exquise et requise est l’art de se parer des plumes du paon, c’est-à-dire, de se glorifier des écrits d’autrui et de les proclamer siens avec autorité.
L’habileté à promettre monts et merveilles, tout en gardant une équivoque qui sauvegarde de l’engagement, est un atout majeur. Puis ajoutez-y la connaissance des pilules et potions, vraies ou fausses, tout est dans l’apparence et la déclamation.
Le médecin doit bien sûr avoir le talent de parler beaucoup sans rien dire, et de guérir par hasard tout en s’attribuant chaque succès. Et si guérir ne suit point, il doit savoir accuser le ciel ou la fatalité, jamais son ignorance ou sa maladresse.
Enfin, les morts sont les meilleurs amis du médecin: ils gardent le silence sur le traitement et ne se plaignent jamais. Voilà, messieurs, la quintessence de l’art médical telle que la pratique votre humble et facétieux Sganarelle.
M.l : Regrettez-vous votre métier de bûcheron ?
Sganarelle : Regretter mon état de pauvre bûcheron serait méconnaître la faveur que le sort m’a faite en m’élevant à ce degré d’apothicaire sans le vouloir. Ne suis-je pas devenu un illustre docteur, un oracle de la médecine, par les coups de bâton magiques, et en dépit de ma propre volonté?
Certes, je manie le discours avec plus de dextérité que la cognée, et mon esprit s’affûte bien mieux que ne le faisait mon outil de jadis. Le bois m’était familier, mais combien plus doux est le son du titre de médecin!
Je vous le dis en toute sincérité, l’ère de tailler le bois est révolue; à présent, je taille dans le vif de l’ignorance. Mon ancienne vie d’humble bûcheron semble bien loin, et si la nostalgie vient me chatouiller parfois, elle est vite balayée par la grandeur que m’a octroyée cette farce du destin.
Ainsi donc, point de regret, Messieurs, point de regret. Chaque coup porté au bois est un souvenir lointain, car maintenant, c’est à la science que je donne des coups d’éclat.
M.l : A maintes reprises, vous semblez être sensible aux charmes de Jacqueline la nourrice ?
Sganarelle : Ah ! Ma douce, ma tendre, ma frétillante Jacqueline, nourrice au sein lourd et généreux, quels sont les divins attraits qui m’enchaînent à votre image et me font languir en votre absence ? C’est votre visage, frais comme les plus beaux jours de printemps, qui allume en mon sein un feu que nulle eau ne saurait éteindre. C’est votre voix, dont le moindre murmure me berce comme le chant des sirènes, douce mélodie qui charme mes oreilles et captive mon âme.
Mais, ô ma nourrice adorée, n’en doutez point, ce qui m’attire le plus en vous est cet opulent sein, source de vie et de tendresse, dont la simple vue suffirait à ressusciter les plus désespérés. Ce sein, si rond, si blanc, si doux au toucher, est la promesse d’un nectar plus sucré que le miel et plus enivrant que le plus fin des vins. Il est le trône où je rêve de poser mes lèvres assoiffées et de me perdre dans un océan de volupté.
M.l : Certes, mais revenons à la médecine. Comment allez-vous soigner le mutisme de Lucinde ?
Sganarelle : Par ma foi, c’est une affaire d’humeurs peccantes et de déséquilibre des quatre éléments fondamentaux qui sont le sang, la bile, la mélancolie et la flegme. C’est une maladie qui la tient sûrement par quelque obstruction des conduits galéniques, qui va de l’humeur au cerveau jusqu’à la langue.
Primo, il convient de composer une mixture de la plus haute efficacité: quantité de pain bien blanc et fort trempé dans du vin de la meilleure qualité, afin de humecter les humeurs sèches qui obstruent ses organes de parole.
Secundo, je dois ausculter son pouls avec la plus grande attention, car voilà un pouls qui marque que votre fille est muette. Cela est indubitable, et ce signe ne trompe jamais un médecin de ma stature.
Je pourrais encore, si le temps ne me pressait, discourir longuement sur les mérites de la saignée en cas de trop plein sanguin, ou du bon usage de la clistère pour les obstructions internes, mais je suis convaincu que ces quelques conseils suffiront à éveiller la voix de la discrète Lucinde.
M.l : Un doute subsiste cependant sur vos connaissances médicales. Où se situe le coeur ?
Sganarelle : Vous me demandez une chose qui est bien connue de tous ceux qui ont quelque peu fréquenté la science des corps humains. Le cœur, cet organe vital qui anime et vivifie toute la machine, se situe dans la poitrine, s’attachant plus précisément au côté gauche, où il bat et s’agite, pompe admirable par où la vie se maintient en nous par un mouvement perpétuel.
Mais, comme vous l’avez entendu dans mes précédentes et savantes explications, c’est une erreur de penser que le cœur est seul en sa demeure, car il est en riche compagnie de diverses parties, qui toutes contribuent à la grande symphonie de notre santé. Il est entouré de cette armée de vapeurs et d’humeurs, qui, si elles sont mal dirigées, peuvent causer mille maux et désordres, voire troubler la sérénité de l’âme et la tranquillité de l’esprit.
Donc, quand je vous parle de ces mystérieuses vapeurs qui voyagent de l’un à l’autre côté, je vous décris l’étroit et merveilleux dialogue entre le cœur et le reste de notre corps. C’est la raison pour laquelle, avec une gravité de circonstance, je vous invite à contempler le pouls de la malade, afin que nous puissions discuter plus avant de ces phénomènes et déterminer la cause de sa condition.
M.l : Une question plus générale pour finir: La femme est elle pire qu’un démon comme le dit Aristote ?
Sganarelle : Hélas, parbleu, il ne m’appartient pas de confirmer ou d’infirmer de manière si tranchée les propos d’un grand philosophe. Je me dois toutefois, en tant que médecin de circonstance, d’éclairer cette question de ma pire lumière. L’on pourrait croire, d’après ce que j’ai ouï dire, que les dames, douces et gracieuses créatures en apparence, possèdent des humeurs plus capricieuses que celles des hommes, ce qui serait une source de mille maux incommensurables, dignes des plus retorses malédictions diaboliques.
Néanmoins, mon bon Monsieur, il est de l’érudition médicale la plus raffinée de considérer que le sexe féminin, tout comme le sexe masculin, est sujet à des infirmités diverses, que la science des humeurs et des esprits tente de guérir par des moyens aussi divers que savants. C’est un sujet de grande controverse parmi les érudits, et je puis dire, sans risque de me tromper, que, quelque opinion que l’on adopte, il faut toujours garder à l’esprit que la complexité de la nature humaine échappe souvent à nos jugements les plus hâtifs.
M.l : Merci
Sganarelle : Votre serviteur, Monsieur, votre serviteur. Sachez que je suis le grand Sganarelle, l’homme de science fortuit, et que je ne me détourne point d’une bonne opportunité de déployer ma faconde.
Mais si c’est là tout, je vous réponds par un simple et courtois “De rien”, et m’en retourne à mes affaires de faux médecinage et de vraie fustigation.