J’ai découvert Molière à l’école, comme tous les français depuis de nombreuses générations. Et j’avoue qu’à l’époque, la chose me passe totalement au-dessus de la tête. Hormis un ennui profond suivi d’un rejet total, ces textes ne m’inspirent guère.
Chaque année, de la classe de sixième à la terminale, nous devons nous extasier devant un texte rébarbatif, ennuyeux et somme toute assez répétitif. Le comique supposé des réparties de Sganarelle ou d’Harpagon m’échappe et je fulmine de la répétition des scènes, des personnages et des procédés comiques qui se ressemblent de pièces en pièces. Hormis bien sur la parenthèse merveilleuse du film l’Avare avec Louis de Funès. Hilarant.
A cette époque, je dévore surtout la science-fiction américaine, française et russe. Un genre malheureusement peu valorisé en France. Plus tard, je découvre avec enthousiasme Dickens, Dostoïevski, Tolstoï, Steinbeck ainsi que la puissance de Shakespeare tout en continuant à me nourrir de science-fiction. Toujours un arrière goût d’incompréhension quant à la fascination nationale vis-à-vis de Molière. “La langue de Molière”, le “plus illustre des artistes français”, le “plus grand dramaturge de l’histoire de France” etc etc. Des qualificatifs toujours positifs, dithyrambiques, et si éloignés de ma propre expérience.
Par solidarité avec mes camarades écoliers contemporains, je décide alors d’essayer de soulager leur douleur et leur ennui en traduisant les pièces en français moderne. Finies les formules hermétiques, les tournures de phrases incompréhensibles ou les tirades interminables. L’aspect transgressif de l’exercice ne gâche rien. Une revanche froide en quelque sorte.
En cherchant s’il existe déjà des versions modernes des pièces, je tombe sur des articles criant au scandale d’une modernisation de certaines pièces par une université en Pologne. Sacrilege! Tentative d’abêtissement de la jeunesse française. Le ton est tellement outré, scandalisé, méprisant (“la galimafrée culturelle concoctée par des pédagogues croyant bien faire”), que je me dis que je tiens là quelque chose.
Je fais une première tentative en enchaînant les traductions d’une langue à une autre avec au final un retour en français. Par exemple français original -> italien -> danois -> français. J’espère ainsi que cet enchaînement va gommer l’archaïsme de certaines répliques. Mais le résultat manque de consistance. Une deuxième tentative consiste à exploiter les premiers modèles de langue dédiés au changement de style. Mais ces modèles sont optimisés pour l’anglais et compliqué à utiliser. Ce n’est qu’avec l’arrivée de chatGPT et des LLMs que j’ai eu enfin les outils adaptés au projet.
Le résultat n’est pas parfait. Toute traduction entraîne une perte de sens, de rythme. Un lissage sémantique. Il me semble même que la modernisation d’un texte est encore plus une trahison que ne l’est une traduction d’une langue à une autre car une traduction permet de conserver le style intrinsèque du texte original.
Ma boussole évolue au fil des pièces. Mais les grands principes sont les suivants.
- Garder le sens et conserver la structure de dialogues
- Ne pas simplifier le vocabulaire contemporain mais remplacer les mots désuets par leur synonyme moderne: apothicaire devient pharmacien.
- Simplifier les tournures des phrases.
- par exemple: “Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brûlais de vous parler, pour m’ouvrir à vous d’un secret.” L’avare, acte 1, scène 2 devient: “Je suis content de te trouver seule, ma sœur. J’ai un secret à te confier.”.
- Raccourcir les tirades trop longues.
- N’est il pas plus aisé de lire: “Pourquoi cette tristesse, Élise, après m’avoir assuré de ton amour ? Je te vois soupirer, est-ce du regret de m’avoir rendu heureux ? Regrettes-tu notre engagement ? ”
- plutôt que: “Hé quoi ! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du regret, dites-moi, de m’avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ? “ L’avare, acte 1, scène 1
Assurément, on y perd.
Mais on y gagne aussi. ;)
Petit à petit, grâce à ce projet de traduction des pièces de Molière en français moderne, je me plonge dans l’univers de Molière. Sa vie, ses inspirations, son siècle, ses pièces et ses messages ou transgressions. Au fil des traductions, je découvre ces œuvres et j’apprends à les apprécier et à les lire. Mon rejet adolescent de Molière semble avoir été au final plus dû au dogmatisme de l’education nationale qu’à la nature des œuvres moliéresques.
À suivre.