Moliere.love: Bonsoir Monsieur Harpagon, merci de votre accueil dans ce lieu si symbolique qu’est l’Illustre Théâtre. Nous n’y voyons goutte avec cette petite bougie mais au moins nous ne sonmmes pas outrageusement dépensier
ML : Vivre pour manger ou manger pour vivre ?
Harpagon : Vivre pour manger, dites-vous? Ah! quelle extravagance, quelle folie sans pareille! Me faire dépenser mon bien, mon or en viandes et en sauces! Non, non, il n’est point question de vivre pour manger, mais bien de manger pour vivre, et encore, du plus chiche et modéré des repas que l’on puisse imaginer. Il s’agit de conserver son bien à tout prix, de serrer chaque écu jusqu’à ce qu’il crie grâce! Que l’on me soupçonne de faire bombance est un guet-apens, un assassinat de ma fortune! Hélas, à quoi bon ces habits que l’on croit si coûteux, c’est de la pure illusion, une façade nécessaire pour ne point attirer l’attention sur ma vraie richesse!
ML : Vous seriez donc un homme riche ?
Harpagon : Parlez bas, parlez bas, de peur qu’on ne nous écoute et qu’on ne vienne à apprendre mes affaires. Riche, dites-vous? Ah, l’on m’espionne, on veut me dérober mon bien, ma chère fortune! Que nenni, point de richesse ici, que de simples deniers que le travail et l’épargne m’ont péniblement concédés. Ne répandez point de telles rumeurs qui pourraient exciter les convoitises et attirer la vermine. O ciel! Taisez-vous, je vous en prie!
ML : Aurait-on dérobé votre cassette ?
Harpagon : Hélas, comment osez-vous, par la malice de votre question, éveiller encore plus les soupçons et les tourments qui me déchirent le coeur et l’âme? Ah! la perte est trop certaine, c’est l’œuvre d’une trahison innommable! Ma cassette, ma douce et précieuse cassette, a été soustraite par quelque brigand insatiable. Qui d’autre qu’un larron rusé aurait pu s’approprier les fruits de mon austérité et de mon labeur incessant? Je suis assiégé de toutes parts par les voleurs, et je me vois déjà ruiné, dépouillé de mon unique réconfort. Ah, misérable de moi! Le ciel témoigne de mon affliction pendant que je m’évertue à protéger un trésor, mon unique et indicible amour, qui maintenant m’est ravi! La suspicion m’étreint, où est-elle, cette cassette?
ML : Étes-vous vraiment aussi avare qu’on le dit ?
Harpagon : Moi, avare, allons donc! C’est une galante affaire que de prétendre qu’un homme de ma condition fût économe à l’excès, alors qu’en vérité, je ne fais qu’embrasser la prudence la plus élémentaire pour la conservation de ma petite fortune. Que l’on me taxe de cette fausse réputation, voilà un divertissement des plus cocasses!
ML : Mais voici Frosine, madame, Monsieur Harpagon est-il proche de ses sous ?
Frosine : Ah! Par la morbleu, n’en doute point, Harpagon est l’avarice même incarnée. Il serre ses écus plus fort que le plus ferme des étaux; il priverait bien l’air de circuler de peur qu’il ne l’emporte. Son cœur et sa bourse sont d’un serré que le diable y perdrait son latin!
ML : Pensez vous qu’Élise est amoureuse ?
Frosine : Ah! cela n’est point une affaire douteuse, et son cœur palpite pour Valère avec une ardeur qui ne se peut nier. Je l’observe et je la vois, dans chacun de ses regards, peindre ses sentiments les plus tendres, comme une douce rosée du matin qui s’épanouit à la première lueur du soleil. En vérité, c’est un divertissement des plus charmants que de les voir tous deux jouer la comédie de l’amour, si sincère et si naturel!
ML : Harpagon, étes-vous content que votre fils se soit marié ?
Harpagon : comment pourrais-je me réjouir d’une telle frénésie, où mon fils, ce débauché, se précipite à lier son sort avec une femme sans dot et sans épargne? Ne voit-il point que l’inclination est le poison de la fortune, et qu’un mariage sans intérêt n’est qu’une noire tragédie pour mon coffre déjà tant souffré? Ah! malheureux jour, où je vois mon bien se disperser par les mains d’un ingrat qui ne connaît point la valeur de l’économie ni les douces caresses de l’écu serré!
ML : Harpagon, Préférez vous vos écus ou vos enfants ?
Harpagon : Mes écus, ils sont mon âme et ma chair; mes enfants, que des dépenseurs de mes finances. Je préfère mes écus car ils ne me causent point de chagrin ni désobéissance. Mes enfants peuvent bien épouser la misère si elle les agrée, tandis que mon or demeure mon fidèle ami. Et ne dit-on pas que l’argent ne change point de nature, mais que les enfants, hélas, changent de cœur ?
ML : Harpagon, Quel menu pour un banquet de noce ?
Harpagon : Pour le banquet de noce, on dressera une table sans excès ni superflu, où chaque mets compté ne saurait éreinter ma bourse. Un potage clair, poulet bouilli et quelques légumes seront à l’honneur, n’éveillant point la flamme du gaspillage. Que l’on y ajoute un frugal dessert, et ce sera suffisance pour célébrer sans que mon or ne prenne la fuite. Il faudra que chacun se contente et loue mon économie, car point n’est besoin de festoyer comme des Sardanapale pour célébrer une union.
ML : Harpagon, merci de nous avoir accordé cet entretien.
Harpagon : Eh bien, je ne sais qui vous êtes ni quels sont vos desseins en m’approchant, mais soyez assuré que vous ne tirerez pas un denier de ma bourse. J’espère qu’aucun de mes valets ne vous a conté où j’enfouis mon trésor, car je les soupçonne tous d’être des fripons. Gardez-vous de me tourner autour, car je ne dors que d’un œil et l’autre veille sur ma fortune.
ML : Frosine Merci d’avoir répondu à nos questions.
Frosine : Je suis fort aise, Monsieur, d’avoir pu répondre à ce que vous désiriez savoir. N’oubliez point que les secrets de chacun sont des fils tissés dans un grand labyrinthe, et j’ai l’œil qui sait suivre ces fils sans jamais se tromper. Vos interrogations ne m’ont point échappé, et soyez assuré que derrière chaque mot se cache une raison que seuls les fins esprits peuvent entrevoir.