Rira bien qui rira le dernier
tldr;: Les pièces de Molière, perçues comme comiques grâce aux traits exagérés de ses personnages, utilisent des archétypes pour susciter le rire du public aux dépens des défauts humains universels. L’humour de Molière, bien que parfois teinté de moquerie, perdure à travers les siècles en tant que miroir salutaire, en mettant en lumière nos propres travers et défauts.
Un des tenants de l’enseignement scolaire des pièces de Molière repose sur le caractère archétypal de ses personnages les plus caricaturaux. L’archétype d’un sujet donné se fonde sur une image représentative forte, caractérisée, reconnaissable.
A en croire les manuels scolaires, le comique des pièces de Molière provient du ridicule des personnages aux traits forcés. Ils sont vieux, acariâtres, autoritaires mais surtout obsessifs, souvent crédules, et toujours ridicules. Harpagon pour son avarice, Géronte pour son intransigeance, Argan pour son hypocondrie et sa foi inébranlable dans une médecine de charlatan. Et bien d’autres encore.
Le spectateur, ou lecteur, rit aux dépens du personnage, cible de son jugement, et construit dans cette intention par l’auteur. Un rire somme toute peu généreux, un rire de cours d’école où l’on se moque du plus faible, du plus bête, du plus vieux, du plus ridicule avec une dose certaine de méchanceté.
Mais ce type d’humour ne peut expliquer l’intemporalité des œuvres de Molière.La moquerie du prochain est infantile et acide. Elle détruit l’empathie.
Si l’on revient sur la notion d’archétype, comme trait essentiel et universel de l’inconscient collectif, il semble plus probable que nous rions en fait de nous-mêmes, de nos travers peu reluisants et de nos défauts enfouis. C’est un rire plus noble, heureusement, une autodérision qui éclaire nos vies internes. Les personnages des pièces de Molière sont des miroirs. Nous allons revoir et nous relisons et nous continuons à enseigner Molière parce que le sujet de ces pièces, en fait, c’est nous.
- Qui d’entre nous n’as pas été obsédé par des comptes d’apothicaires, entre amis, en faisant les courses, … ?
- Qui d’entre nous n’a pas scruté son moindre petit bobo, sa moindre douleur, bouton, ou borborygme interne en l’interprétant comme le signe inévitable d’un cancer inéluctable ?
- Qui d’entre nous n’a pas été rigide, stricte, intraitable et incapable d’empathie vis a vis de ses proches à un moment ou un autre ?
- Enfin, qui d’entre nous n’as pas été crédule en face d’une proposition qui s’est avérée après coup être trop belle pour être honnête.
Mais tout cela sans vraiment se l’avouer clairement après coup. Sans être dramatiques, ces comportements ne nous mettent pas vraiment en lumière.
On rit aussi de Sganarelle et de Scapin pour leur culot et leur bagout, leurs habilités à dépasser les bornes sans peur des conséquences. Serait-ce là un rire d’envie ? On aimerait jouer les mêmes tours de pendards à nos collègues, nos conjoints et amis. Qui n’a pas imaginé un jour enfouir un collègue insupportable dans un sac pour lui donner une leçon ?
En relisant avec attention ces pièces de Molière pour les adapter en français moderne, je m’aperçois avec amusement que ces personnages caricaturaux existent aussi en moi. Je me surpends, sans le vouloir, en train de jouer ces scènes célèbres dans la vraie vie. La scène de menage entre Sganarelle et sa femme Martine en est un bon exemple récent. Pinailler sur des économies de bouts de chandelles ne m’est pas non plus inconnu.
L’humour de Molière relève parfois du grand guignol, avec ses scènes de bastonnades ou du vaudeville avec ses comiques de situations. Mais ce qui fait des pièces de Molière de tels classiques, des siècles après leur publication, c’est surtout, il me semble, leur rôle de miroirs salutaires. Elles nous offrent l’absolution de nos absences trop humaines.