les Fourberies de Scapin - Acte 2, Scène 11

Pour soutirer les 500 écus à Géronte, Scapin prétend que Léandre, son fils, a été enlevé par des turcs et se trouve sur une galère. Il doit rapidement leur apporter une rançon pour qu'ils le libère. Géronte aussi pingre que l'est Harpagon dans l'Avare, essaie à plusieurs reprises de ne pas lui donner l'argent de la rançon. Mais Scapin finit par l'obtenir.

Scapin

Scapin
Valet de Léandre, personnage principal

Géronte

Géronte
Père de Léandre et de Hyacinthe.

Version Moderne

Version Originale

Scapin
Oh mon Dieu ! Quelle disgrâce inattendue ! Pauvre Géronte, que vas-tu faire ?
faisant semblant de ne point voir Géronte. Ô ciel ! ô disgrâce imprévue ! ô misérable père ! Pauvre Géronte, que feras-tu ?
Géronte
Pourquoi parle-t-il de moi avec un air si triste ?
à part. Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?
Scapin
N’y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ?
N’y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ?
Géronte
Qu’y a-t-il, Scapin ?
Qu’y a-t-il, Scapin ?
Scapin
Où puis-je le trouver pour lui annoncer cette malchance ?
courant sur le théâtre sans vouloir entendre ni voir Géronte. Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune ?
Géronte
De quoi parles-tu ?
arrêtant Scapin. Qu’est-ce que c’est donc ?
Scapin
En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver.
En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver.
Géronte
Me voici.
Me voici.
Scapin
Il doit être caché quelque part où personne ne peut le trouver
Il faut qu’il soit caché en quelque endroit qu’on ne puisse point deviner.
Géronte
Hé ! Es-tu aveugle ? Tu ne me vois pas ?
Holà ! es-tu aveugle, que tu ne me vois pas ?
Scapin
Ah ! Monsieur, je n'arrive pas à vous trouver.
Ah ! monsieur, il n’y a pas moyen de vous rencontrer.
Géronte
Je suis devant toi depuis une heure. Qu'est-ce qu'il y a ?
Il y a une heure que je suis devant toi. Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a ?
Scapin
Monsieur...
Monsieur...
Géronte
Quoi ?
Quoi ?
Scapin
Monsieur votre fils...
Monsieur votre fils...
Géronte
Hé bien ! mon fils...
Hé bien ! mon fils...
Scapin
Est tombé dans une situation très étrange.
Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde.
Géronte
Et laquelle ?
Et quelle ?
Scapin
J'ai trouvé votre fils triste à cause de quelque chose que vous lui avez dit, où vous m'avez impliqué inutilement. Pour le distraire, nous sommes allés nous promener sur le port. Nous avons vu une belle galère turque et un jeune Turc nous a invités à monter à bord. Il a été très courtois, nous a offert des fruits délicieux et du bon vin.
Je l’ai trouvé tantôt tout triste, de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m’avez mêlé assez mal à propos ; et cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités d’y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé. Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde.
Géronte
Qu’y a-t-il de si affligeant en tout cela ?
Qu’y a-t-il de si affligeant en tout cela ?
Scapin
Attendez, monsieur, nous y sommes. Pendant qu'on mangeait, il a fait partir la galère, et quand il s'est éloigné du port, il m'a mis dans un petit bateau et m'envoie vous dire que si vous ne lui envoyez pas cinq cents écus tout de suite, il va emmener votre fils à Alger.
Attendez, monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voyant éloigné du port, il m’a fait mettre dans un esquif, et m’envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi, tout à l’heure, cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.
Géronte
Comment, diantre ! cinq cents écus !
Comment, diantre ! cinq cents écus !
Scapin
Oui, monsieur, et en plus, il ne m'a donné que deux heures pour ça.
Oui, monsieur ; et, de plus, il ne m’a donné pour cela que deux heures.
Géronte
Ah ! Ce maudit Turc ! Il veut me tuer de cette façon !
Ah ! le pendard de Turc ! m’assassiner de la façon !
Scapin
C'est à vous de trouver rapidement un moyen de sauver votre fils.
C’est à vous, monsieur, d’aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.
Géronte
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Scapin
Il ne s'attendait pas à ce qui est arrivé.
Il ne songeoit pas à ce qui est arrivé.
Géronte
Scapin, va dire à ce Turc que je vais envoyer la police après lui.
Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.
Scapin
La police en pleine mer ? Vous plaisantez ?
La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ?
Géronte
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Scapin
Parfois, les gens sont malchanceux.
Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.
Géronte
Scapin, tu dois agir en tant que serviteur fidèle.
Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l’action d’un serviteur fidèle.
Scapin
Que voulez-vous dire, Monsieur ?
Quoi, Monsieur ?
Géronte
Que tu ailles dire à ce Turc qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande.
Que tu ailles dire à ce Turc qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande.
Scapin
Monsieur, réfléchissez ! Pensez-vous vraiment que ce Turc accepterait un pauvre homme comme moi à la place de votre fils ?
Hé ! Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens que d’aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils ?
Géronte
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Que diable alloit-il faire dans cette galère ?
Scapin
Il ne se doutait pas de ce malheur. Pensez, monsieur, il ne m'a donné que deux heures.
Il ne devinoit pas ce malheur. Songez, monsieur, qu’il ne m’a donné que deux heures.
Géronte
Tu dis qu’il demande...
Tu dis qu’il demande...
Scapin
Cinq cents écus.
Cinq cents écus.
Géronte
Cinq cents écus ! N'a-t-il aucune conscience ?
Cinq cents écus ! N’a-t-il point de conscience ?
Scapin
Ah oui, vraiment, faire confiance à un Turc !
Vraiment oui, de la conscience à un Turc !
Géronte
Sait-il bien ce que c’est que cinq cents écus ?
Sait-il bien ce que c’est que cinq cents écus ?
Scapin
Oui, monsieur ; il sait que c’est mille cinq cents livres.
Oui, monsieur ; il sait que c’est mille cinq cents livres.
Géronte
Ce traître croit-il vraiment que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval ?
Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d’un cheval ?
Scapin
Ces gens-là ne sont pas raisonnables.
Ce sont des gens qui n’entendent point de raison.
Géronte
Mais que diable alloit-il faire à cette galère ?
Mais que diable alloit-il faire à cette galère ?
Scapin
C'est vrai. Mais on ne peut pas tout prévoir. S'il vous plaît, dépêchez-vous, Monsieur !
Il est vrai. Mais quoi ! on ne prévoyoit pas les choses. De grâce, Monsieur, dépêchez !
Géronte
Tiens, voilà la clef de mon armoire.
Tiens, voilà la clef de mon armoire.
Scapin
Très bien.
Bon.
Géronte
Tu l’ouvriras.
Tu l’ouvriras.
Scapin
Très bien.
Fort bien.
Géronte
Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.
Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.
Scapin
Oui.
Oui.
Géronte
Tu prendras tous les vêtements qui sont dans cette grande malle, et tu les vendras pour racheter mon fils. Scapin, en lui rendant la clé. Monsieur, vous rêvez ? Je n'aurais même pas cent francs avec tout ça ; et en plus, vous savez combien de temps on m'a donné.
Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils. Scapin, en lui rendant la clef. Eh, Monsieur ! rêvez-vous ? Je n’aurois pas cent francs de tout ce que vous dites ; et, de plus, vous savez le peu de temps qu’on m’a donné.
Géronte
Mais que diable alloit-il faire à cette galère ?
Mais que diable alloit-il faire à cette galère ?
Scapin
Arrêtez de parler de cette galère ! Le temps presse et vous risquez de perdre votre fils. Je crains de ne plus jamais le revoir, peut-être est-il déjà en route pour devenir esclave en Algérie. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour lui, si on ne peut pas le racheter, c'est à cause de votre manque d'affection.
Oh ! que de paroles perdues ! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître ! peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu’à l’heure que je parle, on t’emmène esclave en Alger. Mais le ciel me sera témoin que j’ai fait pour toi tout ce que j’ai pu ; et que, si tu manques à être racheté, il n’en faut accuser que le peu d’amitié d’un père.
Géronte
Attends, Scapin, je vais chercher cette somme.
Attends, Scapin, je m’en vais quérir cette somme.
Scapin
Dépêchez-vous, monsieur, je crains que l'heure ne sonne.
Dépêchez donc vite, monsieur ; je tremble que l’heure ne sonne.
Géronte
Ce n'est pas quatre cents écus que tu dis ?
N’est-ce pas quatre cents écus que tu dis ?
Scapin
Non. Cinq cents écus.
Non. Cinq cents écus.
Géronte
Cinq cents écus !
Cinq cents écus !
Scapin
Oui.
Oui.
Géronte
Que diable alloit-il faire à cette galère ?
Que diable alloit-il faire à cette galère ?
Scapin
Vous avez raison, mais dépêchez-vous.
Vous avez raison ; mais hâtez-vous.
Géronte
N'y avait-il pas d'autres endroits où aller ?
N’y avoit-il point d’autre promenade ?
Scapin
C'est vrai ; mais faites vite.
Cela est vrai ; mais faites promptement.
Géronte
Ah ! maudite galère !
Ah ! maudite galère !
Scapin
Cette galère lui tient au cœur.
Cette galère lui tient au cœur.
Géronte
Tiens, Scapin, je viens de recevoir exactement cette somme en or, je ne pensais pas qu'elle me serait enlevée si vite. Tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin. Va racheter mon fils.
Tiens, Scapin, je ne me souvenois pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyois pas qu’elle dût m’être si tôt ravie. Tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin. Tiens, va-t’en racheter mon fils.
Scapin
Oui, Monsieur.
tendant la main. Oui, Monsieur.
Géronte
Mais dis à ce Turc que c’est un scélérat.
retenant sa bourse, qu’il fait semblant de vouloir donner à Scapin. Mais dis à ce Turc que c’est un scélérat.
Scapin
Oui.
tendant encore la main. Oui.
Géronte
Un infâme.
recommençant la même action. Un infâme.
Scapin
Oui.
tendant toujours la main. Oui.
Géronte
Un homme sans foi, un voleur.
de même. Un homme sans foi, un voleur.
Scapin
Laissez-moi faire.
Laissez-moi faire.
Géronte
Il m'a volé cinq cents écus!
de même Qu’il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.
Scapin
Oui.
Oui.
Géronte
Que je ne les lui donne ni à la mort, ni à la vie.
de même Que je ne les lui donne ni à la mort, ni à la vie.
Scapin
Très bien.
Fort bien.
Géronte
Et si jamais je le rattrape, je me vengerai de lui.
de même Et que si jamais je l’attrape, je saurai me venger de lui.
Scapin
Oui.
Oui.
Géronte
Va, va vite chercher mon fils.
remettant la bourse dans sa poche et s’en allant. Va, va vite requérir mon fils.
Scapin
Holà, Monsieur.
courant après Géronte. Holà, Monsieur.
Géronte
Quoi ?
Quoi ?
Scapin
Où est l'argent ?
Où est donc cet argent ?
Géronte
Ne te l’ai-je pas donné ?
Ne te l’ai-je pas donné ?
Scapin
Non vraiment ; vous l’avez remis dans votre poche.
Non vraiment ; vous l’avez remis dans votre poche.
Géronte
Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit.
Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit.
Scapin
Je le vois bien.
Je le vois bien.
Géronte
Que diable alloit-il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc ! à tous les diables.
Que diable alloit-il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc ! à tous les diables.
Scapin
Il ne supporte pas de me donner cinq cents écus ; mais il me doit encore quelque chose. Je veux qu'il me rembourse pour la tromperie qu'il a faite à son fils.
seul. Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n’est pas quitte envers moi ; et je veux qu’il me paye en une autre monnoie l’imposture qu’il m’a faite auprès de son fils.
Molière
Écrit par Molière Follow