Acte 5, Scène 3

La cassette a de beaux yeux

Dans cette scène, Harpagon accuse Valère d'un crime, mais Valère se défend et évoque l'amour comme motivation de son acte. La confusion naît de l'existence d'un malentendu entre Harpagon qui pense que Valère lui a volé sa cassette d'argent, alors que ce dernier déclare qu'il est amoureux de sa fille. C'est une situation où l'accusation, le quiproquo et l'émoi se mêlent.

Harpagon

Harpagon
Père d'Elise et de Cléante.

Valère

Valère
Gentilhomme napolitain et amant d'Élise

Maître Jacques

Maître Jacques
Cuisinier et cocher d'Harpagon

Version Moderne

Version Originale

Harpagon
Approche, viens avouer le crime le plus sombre, l'acte le plus horrible qui ait jamais été commis.
Approche, viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus horrible qui jamais ait été commis.
Valère
Que voulez-vous, monsieur ?
Que voulez-vous, monsieur ?
Harpagon
Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ?
Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ?
Valère
De quel crime voulez-vous donc parler ?
De quel crime voulez-vous donc parler ?
Harpagon
De quel crime je parle, misérable ? Comme si tu ne savais pas ce que je veux dire ! Tu ne peux pas le cacher , tout a été révélé, on m'a tout dit. Comment peux-tu abuser de ma gentillesse, entrer chez moi pour me trahir, pour me jouer un tour comme ça ?
De quel crime je veux parler, infâme ? comme si tu ne savais pas ce que je veux dire ! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser , l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me trahir, pour me jouer un tour de cette nature ?
Valère
Monsieur, maintenant que tout a été découvert, je ne veux pas chercher à mentir et à nier la chose.
Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher de détours et vous nier la chose.
Maître Jacques
Oh ! oh ! Aurais-je deviné sans le savoir ?
Oh ! oh ! Aurais-je deviné sans y penser ?
Valère
Je voulais vous en parler et j'attendais des circonstances favorables, mais puisque c'est ainsi, je vous supplie de ne pas vous fâcher et d'écouter mes raisons.
C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre, pour cela, des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons.
Harpagon
Quelles bonnes raisons peux-tu me donner, voleur misérable ?
Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infâme ?
Valère
Ah ! Monsieur, je ne mérite pas ces insultes. C'est vrai, j'ai commis une faute envers vous ; mais, après tout, ma faute est pardonnable.
Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai commis une offense envers vous ; mais, après tout, ma faute est pardonnable.
Harpagon
Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
Valère
S'il vous plaît, ne vous fâchez pas. Quand vous m'entendrez, vous verrez que ce n'est pas si grave.
De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.
Harpagon
Pas si grave ? Mon sang, mes entrailles, pendard !
Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ! mon sang, mes entrailles, pendard !
Valère
Votre sang, Monsieur, est entre de bonnes mains. Je ne lui ferai aucun mal ; et tout cela peut être bien réparé.
Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis d'une condition à ne lui point faire de tort ; et il n'y a rien, en tout ceci, que je ne puisse bien réparer.
Harpagon
C'est ce que j'attends, que tu me rendes ce que tu m'as pris.
C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.
Valère
Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
Harpagon
Il ne s'agit pas d'honneur ici. Mais, dis-moi, qu'est-ce qui t'a poussé à faire ça ?
Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a porté à cette action ?
Valère
Vous me demandez vraiment ?
Hélas ! me le demandez-vous ?
Harpagon
Oui, je te le demande.
Oui, vraiment, je te le demande.
Valère
C'est l'Amour, un dieu qui justifie tout.
Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire, l'Amour.
Harpagon
L'Amour ?
L'Amour ?
Valère
Oui.
Oui.
Harpagon
Bel amour, bel amour, vraiment ! L'amour de mon argent !
Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or !
Valère
Non, Monsieur, ce n'est pas votre richesse qui m'a attiré, ce n'est pas ça qui m'a ébloui. Je ne veux rien de vos biens, tant que vous me laissez ce que j'ai.
Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce n'est pas cela qui m'a ébloui ; et je proteste de ne prétendre rien à tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.
Harpagon
Non, je ne te le laisserai pas. Quelle insolence de vouloir garder ce que tu m'as volé !
Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !
Valère
Vous appelez ça un vol ?
Appelez-vous cela un vol ?
Harpagon
Si j'appelle ça un vol ? un trésor comme çà !
Si je l'appelle un vol ? un trésor comme celui-là !
Valère
C'est vrai que c'est un trésor, et le plus précieux que vous ayez, sans aucun doute ; mais ce ne sera pas une perte de me le laisser. Je vous le demande humblement, ce trésor plein de charmes ; et, pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez.
C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez, sans doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et, pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez.
Harpagon
Hors de question. Que voulez-vous dire ?
Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ?
Valère
Nous nous sommes promis fidélité et avons juré de ne jamais nous abandonner.
Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne nous point abandonner.
Harpagon
Quel beau serment, quelle belle promesse.
Le serment est admirable, et la promesse plaisante.
Valère
Oui, nous nous sommes engagés à être ensemble pour toujours.
Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais.
Harpagon
Je vais vous en empêcher, je vous le promets.
Je vous en empêcherai bien, je vous assure.
Valère
Seule la mort peut nous séparer.
Rien que la mort ne nous peut séparer.
Harpagon
Vous êtes vraiment obsédé par mon argent !
C'est être bien endiablé après mon argent !
Valère
Comme je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas l'argent qui m'a motivé. Mon cœur a été guidé par des motifs plus nobles.
Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon coeur n'a point agi par les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette résolution.
Harpagon
Il prétend me voler par charité chrétienne ! Mais je ne le laisserai pas faire, la justice me rendra ce qui m'appartient.
Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien ! Mais j'y donnerai bon ordre, et la justice, pendard effronté, me va faire raison de tout.
Valère
Faites ce que vous voulez, je suis prêt à tout endurer. Mais sachez que si quelqu'un est à blâmer, c'est moi, pas votre fille.
Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire au moins que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.
Harpagon
Bien sûr, ma fille n'a rien à voir avec ça. Mais je veux récupérer ce qui m'appartient. Où l'as-tu caché ?
Je le crois bien, vraiment ! Il serait fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.
Valère
Je ne l'ai pas caché, il est toujours chez vous.
Moi ? Je ne l'ai point enlevée ; et elle est encore chez vous.
Harpagon
Ma précieuse cassette est toujours chez moi ?
Ô ma chère cassette ! Elle n'est point sortie de ma maison ?
Valère
Non, Monsieur.
Non, Monsieur.
Harpagon
Tu n'y as pas touché ?
Hé ! dis-moi donc un peu , tu n'y as point touché ?
Valère
Moi, y toucher ! Ah, vous vous trompez, tout comme moi. J'ai brûlé pour elle d'un amour pur et respectueux.
Moi, y toucher ! Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour elle.
Harpagon
Brûlé pour ma cassette !
Brûlé pour ma cassette !
Valère
Je préférerais mourir plutôt que de lui montrer une pensée offensante , elle est trop sage et honnête pour ça.
J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée offensante , elle est trop sage et trop honnête pour cela.
Harpagon
Ma cassette trop honnête !
Ma cassette trop honnête !
Valère
Tous mes désirs se limitent à la voir ; et rien de criminel n'a souillé la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
Harpagon
Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant parle de sa maîtresse.
Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une maîtresse.
Valère
Dame Claude, Monsieur, connaît la vérité de cette histoire ; et elle peut témoigner...
Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure ; et elle vous peut rendre témoignage...
Harpagon
Quoi ! Ma servante est dans le coup ?
Quoi ! ma servante est complice de l'affaire ?
Valère
Oui, Monsieur , elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu la sincérité de mon amour, qu'elle m'a aidé à convaincre votre fille de me donner sa parole, et de recevoir la mienne.
Oui, Monsieur , elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne.
Harpagon
Hé ! Est-ce que la peur de la justice le fait délirer ? Que racontes-tu ici de ma fille ?
Hé ! Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ? Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?
Valère
Je dis, Monsieur, que j'ai eu beaucoup de mal à convaincre sa pudeur à accepter mon amour.
Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour.
Harpagon
La pudeur de qui ?
La pudeur de qui ?
Valère
De votre fille ; et ce n'est que depuis hier qu'elle a accepté de signer une promesse de mariage entre nous.
De votre fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se résoudre à nous signer mutuellement une promesse de mariage.
Harpagon
Ma fille t'a signé une promesse de mariage ?
Ma fille t'a signé une promesse de mariage ?
Valère
Oui, Monsieur, tout comme je lui en ai signé une de mon côté.
Oui, Monsieur, comme de ma part, je lui en ai signé une.
Harpagon
Oh ciel ! Encore un malheur !
Ô ciel ! autre disgrâce !
Maître Jacques
Ecrivez, Monsieur, écrivez.
Ecrivez, Monsieur, écrivez.
Harpagon
Malheur sur malheur ! désespoir sur désespoir ! Allons, Monsieur, faites votre devoir, et faites-lui son procès comme voleur et corrupteur.
Rengrègement de mal ! surcroît de désespoir ! Allons, Monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui-moi son procès comme larron et comme suborneur.
Valère
Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura qui je suis...
Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura qui je suis...
Molière
Écrit par Molière Suivre