Acte 5, Scène 5

Édition Spéciale! On a retrouvé le père

Retournement inattendu de la situation. Anselme se révèle être un gentilhomme de Naples nommé Dom Thomas d'Alburci et qui n'est autre que le père de Valère et de Mariane.

Anselme

Anselme
Père de Valère et de Mariane, Harpagon veut qu'il épouse Élise

Harpagon

Harpagon
Père d'Elise et de Cléante.

Valère

Valère
Gentilhomme napolitain et amant d'Élise

Mariane

Mariane
Amoureuse de Cléante, soeur de Valère et fille d'Anselme

Maître Jacques

Maître Jacques
Cuisinier et cocher d'Harpagon

Version Moderne

Version Originale

Anselme
Qu'est-ce qui se passe, seigneur Harpagon ? Je vous vois très agité.
Qu'est-ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout ému.
Harpagon
Anselme, je suis le plus malheureux des hommes. Un traître s'est infiltré chez moi, prétendant être mon domestique, pour voler mon argent et séduire ma fille.
Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au contrat que vous venez faire ! On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.
Valère
Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
Harpagon
Oui, ils se sont promis l'un à l'autre de se marier. Cet affront vous concerne, seigneur Anselme ; c'est à vous de vous opposer à lui et de poursuivre la justice à vos frais, pour vous venger de son insolence.
Oui, ils se sont donné l'un à l'autre une promesse de mariage. Cet affront vous regarde, seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice à vos dépends, pour vous venger de son insolence.
Anselme
Je n'ai pas l'intention de me faire épouser de force, ni de revendiquer le cœur de quelqu'un qui s'est déjà donné ; mais pour vos intérêts, je suis prêt à les défendre comme les miens propres.
Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un coeur qui se serait donné ; mais, pour vos intérêts, je suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.
Harpagon
Voici un honnête commissaire, qui, d'après ce qu'il m'a dit, ne négligera rien de ses fonctions. Accusez-le comme il se doit, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles.
Voilà monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien, à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office. Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien criminelles.
Valère
Je ne vois pas quel crime on peut me reprocher pour l'amour que je porte à votre fille, ni quelle punition vous pensez que je mérite pour notre engagement, lorsque l'on saura qui je suis...
Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour votre fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis...
Harpagon
Je me moque de toutes ces histoires ; de nos jours, le monde est rempli de ces nobles voleurs, de ces imposteurs qui profitent de leur obscurité et s'attribuent impudemment le premier nom illustre qui leur vient à l'esprit.
Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurité et s'habillent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre.
Valère
Je suis honnête et tout Naples peut témoigner de ma naissance.
Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma naissance.
Anselme
Attention à ce que tu dis. Tu parles devant quelqu'un qui connaît bien Naples.
Tout beau ! Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme à qui tout Naples est connu et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que vous ferez.
Valère
Si tu connais Naples, tu sais qui était don Thomas d'Alburci.
Je ne suis point homme à rien craindre, et si Naples vous est connu, vous savez qui était don Thomas d'Alburci.
Anselme
Oui, je le connais bien.
Sans doute, je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.
Harpagon
Je me fiche de don Thomas.
Je ne me soucie ni de dom Thomas ni dom Martin.
Anselme
Laisse-le parler, on verra ce qu'il veut dire.
De grâce, laissez-le parler ; nous verrons ce qu'il en veut dire.
Valère
Je veux dire que c'est lui mon père.
Je veux dire que c'est lui qui m'a donné jour.
Anselme
Lui ?
Lui ?
Valère
Oui.
Oui.
Anselme
Allez. Vous vous moquez. Trouvez une autre histoire qui vous réussira mieux et ne prétendez pas vous sauver avec cette imposture.
Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette imposture.
Valère
Réfléchissez avant de parler. Ce n'est pas une imposture et je ne dis rien que je ne puisse facilement justifier.
Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance rien qu'il ne me soit aisé de justifier.
Anselme
Quoi ! Vous osez prétendre être le fils de don Thomas d'Alburci ?
Quoi ! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci ?
Valère
Oui, et je suis prêt à le défendre.
Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit.
Anselme
C'est audacieux ! Sache que l'homme dont tu parles est mort en mer avec sa famille il y a seize ans, fuyant les troubles de Naples.
L'audace est merveilleuse ! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et qui en firent exiler plusieurs nobles familles.
Valère
Oui, mais son fils a survécu et c'est moi. J'ai été élevé par le capitaine du navire qui m'a sauvé. J'ai appris récemment que mon père était vivant. Je suis venu ici pour le chercher et j'ai rencontré Élise. Je suis tombé amoureux d'elle et j'ai décidé de m'introduire chez elle.
Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau espagnol ; et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour moi ; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis peu que mon père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ; que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit esclave de ses beautés, et que la violence de mon amour et les sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.
Anselme
Quelles preuves as-tu ?
Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une vérité ?
Valère
Le capitaine espagnol, un cachet de rubis de mon père, un bracelet d'agate de ma mère et Pedro, le domestique qui a survécu avec moi.
Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui était à mon père ; un bracelet d'agate que ma mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce domestique qui se sauva avec moi du naufrage.
Mariane
Je peux confirmer que tu dis la vérité, tu es mon frère.
Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez point ; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que vous êtes mon frère.
Valère
Vous êtes ma soeur?
Vous, ma soeur ?
Mariane
Mon cœur a été touché dès que vous avez parlé. Notre mère m'a souvent parlé des malheurs de notre famille que vous allez enlever. Nous avons survécu à un naufrage grâce aux corsaires, mais avons perdu notre liberté. Après dix ans en esclavage, la chance nous a libérées. Nous sommes retournées à Naples, mais notre propriété avait été vendue, et nous n'avons pas retrouvé notre père. Ensuite, à Gênes, ma mère a récupéré ce qui restait de notre héritage. Pour échapper à l'injustice de sa famille, elle est venue ici, mais sa santé s'est détériorée.
Oui, mon coeur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche ; et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de notre liberté, et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté ; et nous retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes, où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une vie languissante.
Anselme
Mes enfants, venez m'embrasser et partagez votre joie avec moi.
Ô ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles ! Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux de votre père.
Valère
Vous êtes notre père ?
Vous êtes notre père ?
Mariane
C'est vous que ma mère a tant pleuré ?
C'est vous que ma mère a tant pleuré ?
Anselme
Oui, ma fille, mon fils, je suis dom Thomas d'Alburci. Après avoir cru que vous étiez morts pendant plus de seize ans, je m'apprêtais à me remarier pour trouver du réconfort. Cependant, des problèmes de sécurité m'ont empêché de retourner à Naples, alors j'ai vendu mes biens là-bas et je me suis établi ici sous le nom d'Anselme pour échapper aux ennuis liés à mon vrai nom.
Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis dom Thomas d'Alburci que le ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de longs voyages, à chercher, dans l'hymen d'une douce et sage personne, la consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu pour ma vie à retourner à Naples m'a fait y renoncer pour toujours ; et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses.
Harpagon
Il est votre fils?
C'est là votre fils ?
Anselme
Oui.
Oui.
Harpagon
Je vous demande de me rembourser les dix-mille écus qu'il m'a volé
Je vous prends à partie pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés.
Anselme
Il vous a volé?
Lui, vous avoir volé ?
Harpagon
Lui-même.
Lui-même.
Valère
Qui vous dit cela ?
Qui vous dit cela ?
Harpagon
Maître Jacques.
Maître Jacques.
Valère
C'est toi qui le dis ?
C'est toi qui le dis ?
Maître Jacques
Vous voyez que je ne dis rien.
Vous voyez que je ne dis rien.
Harpagon
Oui. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.
Oui. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.
Valère
Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?
Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?
Harpagon
Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
Molière
Écrit par Molière Suivre