Version Moderne
Version Originale
A-t-on déjà entendu parler d'une telle action ?
se croyant seul.
A-t-on jamais ouï parler d’une action pareille à celle-là ?
Il est déjà au courant et il ne peut s'empêcher d'en parler à voix haute.
à Sylvestre.
Il a déjà appris l’affaire, et elle lui tient si fort en tête que, tout seul, il en parle haut.
Quelle audace !
se croyant seul.
Voilà une témérité bien grande !
Écoutons-le un peu.
à Sylvestre.
Écoutons-le un peu.
J'aimerais savoir ce qu'ils vont me dire à propos de ce mariage.
se croyant seul.
Je voudrais bien savoir ce qu’ils me pourront dire sur ce beau mariage.
Nous y avons réfléchi.
à part.
Nous y avons songé.
Vont-ils essayer de nier l'évidence ?
se croyant seul.
Tâcheront-ils de me nier la chose ?
Non, je ne pense pas.
à part.
Non, nous n’y pensons pas.
Ou vont-ils essayer de l'excuser ?
se croyant seul.
Ou s’ils entreprendront de l’excuser ?
C'est possible.
à part.
Celui-là se pourra faire.
Vont-ils essayer de me distraire avec des histoires ?
se croyant seul.
Prétendront-ils m’amuser par des contes en l’air ?
Peut-être.
à part.
Peut-être.
Tous leurs discours seront inutiles.
se croyant seul.
Tous leurs discours seront inutiles.
Nous verrons.
à part.
Nous allons voir.
Ils ne me tromperont pas.
se croyant seul.
Ils ne m’en donneront point à garder.
Ne jurons de rien.
à part.
Ne jurons de rien.
Je saurai mettre mon fils à l'abri.
se croyant seul.
Je saurai mettre mon pendard de fils en lieu de sûreté.
On s'en occupera.
à part.
Nous y pourvoirons.
Et pour ce voyou de Sylvestre, je le battrai.
se croyant seul.
Et pour le coquin de Sylvestre, je le rouerai de coups.
J'aurais été bien surpris qu'il m'oublie.
à Scapin.
J’étois bien étonné s’il m’oublioit.
Te voilà donc, prétendu guide de famille et mentor de jeunes !
apercevant Sylvestre.
Ah ! ah ! vous voilà donc, sage gouverneur de famille, beau directeur de jeunes gens !
Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour.
Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour.
Bonjour, Scapin.
À Sylvestre.
Tu as bien suivi mes ordres ! et mon fils a été très sage pendant mon absence !
Bonjour, Scapin.
À Sylvestre.
Vous avez suivi mes ordres vraiment d’une belle manière ! et mon fils s’est comporté fort sagement pendant mon absence !
Vous vous portez bien, à ce que je vois ?
Vous vous portez bien, à ce que je vois ?
Assez bien.
Assez bien.
À Sylvestre.
Tu ne dis mot, coquin, tu ne dis mot.
Votre voyage s'est bien passé ?
Votre voyage a-t-il été bon ?
Très bien. Laisse-moi me plaindre tranquillement.
Mon Dieu ! fort bon. Laisse-moi un peu quereller en repos.
Vous voulez vous plaindre ?
Vous voulez quereller ?
Oui, je veux me plaindre.
Oui, je veux quereller.
De qui, Monsieur ?
Hé ! qui, Monsieur ?
De ce vaurien.
Ce maraud-là.
Tu n'as pas entendu parler de ce qui s'est passé pendant mon absence ?
Tu n’as pas ouï parler de ce qui s’est passé dans mon absence ?
J'ai entendu parler d'un petit incident.
J’ai bien ouï parler de quelque petite chose.
Un petit incident ! Un acte de cette gravité !
Comment quelque petite chose ! Une action de cette nature !
Vous avez raison.
Vous avez quelque raison.
Une telle audace !
Une hardiesse pareille à celle-là !
C'est vrai.
Cela est vrai.
Un fils qui se marie sans le consentement de son père !
Un fils qui se marie sans le consentement de son père !
Oui, c'est problématique. Mais je vous conseille de ne pas faire de scandale.
Oui, il y a quelque chose à dire à cela. Mais je serois d’avis que vous ne fissiez point de bruit.
Mais je ne suis pas d'accord, et je veux faire un scandale ! Quoi ? Tu ne penses pas que j'ai toutes les raisons du monde d'être en colère ?
Je ne suis pas de cet avis, moi ; et je veux faire du bruit tout mon soûl. Quoi ! tu ne trouves pas que j’aie tous les sujets du monde d’être en colère ?
Oui, j'étais aussi en colère quand j'ai appris la nouvelle. J'ai même grondé votre fils. Mais après réflexion, je ne pense pas qu'il ait vraiment tort.
Si fait, j’y ai d’abord été, moi, lorsque j’ai su la chose ; et je me suis intéressé pour vous, jusqu’à quereller votre fils. Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l’ai chapitré sur le peu de respect qu’il gardoit à un père dont il devoit baiser les pas. On ne peut pas lui mieux parler, quand ce seroit vous-même. Mais quoi ! je me suis rendu à la raison, et j’ai considéré que, dans le fond, il n’a pas tant de tort qu’on pourrait croire.
Qu'est-ce que tu me racontes ? N'aurait-il pas eu tort de se marier soudainement avec une inconnue ?
Que me viens-tu conter ? Il n’a pas tant de tort de s’aller marier de but en blanc avec une inconnue ?
Que voulez-vous ? C'était son destin.
Que voulez-vous ? Il y a été poussé par sa destinée.
Ah ! ah ! Voilà une belle excuse. Il ne reste plus qu'à commettre tous les crimes possibles, tromper, voler, assassiner, et dire pour se justifier, qu'on a été poussé par son destin.
Ah ! ah ! Voici une raison la plus belle du monde. On n’a plus qu’à commettre tous les crimes imaginables, tromper, voler, assassiner, et dire, pour excuse, qu’on y a été poussé par sa destinée.
Vous interprétez mal mes paroles. Je veux dire qu'il a été entraîné dans cette situation.
Mon Dieu ! vous prenez mes paroles trop en philosophe. Je veux dire qu’il s’est trouvé fatalement engagé dans cette affaire.
Pourquoi s'est-il laissé entraîner ?
Et pourquoi s’y engageait-il ?
Vous attendez de lui qu'il soit aussi sage que vous ? Les jeunes sont jeunes, ils manquent de prudence et font des erreurs, comme notre Léandre. N'avez-vous pas été jeune et fait des bêtises ? On m'a dit que vous étiez un séducteur dans votre jeunesse.
Voulez-vous qu’il soit aussi sage que vous ? Les jeunes gens sont jeunes, et n’ont pas toute la prudence qu’il leur faudroit pour ne rien faire que de raisonnable, témoin notre Léandre, qui malgré toutes mes leçons, malgré toutes mes remontrances, est allé faire, de son côté, pis encore que votre fils. Je voudrois bien savoir si vous-même n’avez pas été jeune, et n’avez pas, dans votre temps, fait des fredaines comme les autres. J’ai ouï dire, moi, que vous avez été autrefois un compagnon parmi les femmes, que vous faisiez de votre drôle avec les plus galantes de ce temps-là, et que vous n’en approchiez point que vous ne poussassiez à bout.
C'est vrai, je l'admets ; mais je me suis toujours limité à la galanterie et je n'ai jamais fait ce qu'il a fait.
Cela est vrai, j’en demeure d’accord ; mais je m’en suis toujours tenu à la galanterie, et je n’ai point été jusqu’à faire ce qu’il a fait.
Que vouliez-vous qu'il fasse ? Il rencontre une jeune femme qui lui veut du bien, il la trouve charmante, il lui rend visite, lui fait des compliments, soupire amoureusement, joue les passionnés. Elle succombe à ses avances, il tente sa chance. Et voilà qu'il se fait surprendre avec elle par ses parents qui, par la force, le contraignent à l'épouser.
Que vouliez-vous qu’il fît ? Il voit une jeune personne qui lui veut du bien; car il tient de vous, d’être aimé de toutes les femmes ; il la trouve charmante, il lui rend des visites, lui conte des douceurs, soupire galamment, fait le passionné. Elle se rend à sa poursuite ; il pousse sa fortune. Le voilà surpris avec elle par ses parents, qui, la force à la main, le contraignent de l’épouser.
Quel manipulateur !
à part.
L’habile fourbe que voilà !
Auriez-vous préféré qu'il se fasse tuer ? Mieux vaut être marié que mort.
Eussiez-vous voulu qu’il se fût laissé tuer ? Il vaut mieux encore être marié qu’être mort.
On ne m'a pas raconté l'histoire de cette façon.
On ne m’a pas dit que l’affaire se soit ainsi passée.
Demandez-lui plutôt, il ne vous dira pas le contraire.
Demandez-lui plutôt, il ne vous dira pas le contraire.
Donc, il a été forcé de se marier ?
C’est par force qu’il a été marié ?
Oui, Monsieur.
Oui, Monsieur.
Pourquoi vous mentirais-je ?
Voudrois-je vous mentir ?
Il aurait donc dû aller immédiatement protester chez un notaire.
Il devait donc aller tout aussitôt protester de violence chez un notaire.
Il n'a pas voulu le faire.
C’est ce qu’il n’a pas voulu faire.
Cela m'aurait facilité l'annulation de ce mariage.
Cela m’aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage.
Annuler le mariage ?
Rompre ce mariage ?
Vous ne l'annulerez pas.
Vous ne le romprez point.
Je ne l'annulerai pas ?
Je ne le romprai point ?
Mais je suis son père! J'ai le droit et le devoir de l'aider
Quoi ! je n’aurai pas pour moi les droits de père, et la raison de la violence qu’on a faite à mon fils ?
Il ne sera pas d'accord
C’est une chose dont il ne demeurera pas d’accord.
Il ne sera pas d'accord ?
Il n’en demeurera pas d’accord ?
Votre fils. Est-ce que vous voulez qu'il avoue qu'il a eu peur et qu'il a été contraint de se marier ? Il ne voudra jamais avouer cela, ce serait montrer qu'il n'est pas digne d'un père comme vous.
Votre fils. Voulez-vous qu’il confesse qu’il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu’on lui ait fait faire les choses ? Il n’a garde d’aller avouer cela ; ce seroit se faire tort, et se montrer indigne d’un père comme vous.
Je m'en moque.
Je me moque de cela.
Pour son honneur et le vôtre, il doit dire qu'il l'a épousée de son plein gré.
Il faut, pour son honneur et pour le vôtre, qu’il dise dans le monde que c’est de bon gré qu’il l’a épousée.
Et moi, pour mon honneur et le sien, je veux qu'il dise le contraire.
Et je veux moi, pour mon honneur et pour le sien, qu’il dise le contraire.
Non, je suis sûr qu’il ne le fera pas.
Non, je suis sûr qu’il ne le fera pas.
Je l’y forcerai bien.
Je l’y forcerai bien.
Il ne le fera pas, je vous le dis.
Il ne le fera pas, vous dis-je.
Il le fera, sinon je le déshériterai.
Il le fera, ou je le déshériterai.
Comment ça, très bien ?
Comment, bon ?
Vous ne le déshériterez pas.
Vous ne le déshériterez point.
Je ne le déshériterai pas ?
Je ne le déshériterai point ?
Ah bon ! C'est drôle ! Je ne déshériterai pas mon fils.
Ouais ! Voici qui est plaisant ! Je ne déshériterai pas mon fils.
Non, je vous dis.
Non, vous dis-je.
Qui m’en empêchera ?
Qui m’en empêchera ?
Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là.
Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là.
Vous plaisantez.
Vous vous moquez.
Je ne plaisante pas.
Je ne me moque point.
La tendresse paternelle fera son office.
La tendresse paternelle fera son office.
Pas du tout.
Elle ne fera rien.
Je vous dis que je le ferais.
Je vous dis que cela sera.
Il ne faut pas dire "des bêtises".
Il ne faut point dire, Bagatelles.
Mon Dieu ! Je vous connais, vous êtes naturellement gentil.
Mon Dieu ! je vous connois, vous êtes bon naturellement.
Je ne suis pas gentil, et je peux être méchant si je veux. Terminons cette conversation qui m'énerve.
À Sylvestre.
Allez, vaurien, va chercher mon fils pendant que je vais retrouver le seigneur Géronte pour lui raconter mon malheur.
Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours qui m’échauffe la bile.
À Sylvestre.
Va-t’en, pendard ; va-t’en me chercher mon fripon, tandis que j’irai rejoindre le seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce.
Monsieur, si je peux vous aider en quoi que ce soit, dites-le moi.
Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n’avez qu’à me commander.
Merci Scapin. (A part) Ah ! Pourquoi doit-il être fils unique ! Si seulement j'avais encore la fille que le ciel m'a prise, je pourrais en faire mon héritière !
Je vous remercie.
À part
Ah ! pourquoi faut-il qu’il soit fils unique ! et que n’ai-je à cette heure la fille que le ciel m’a ôtée, pour la faire mon héritière !