les Fourberies de Scapin - Acte 1, Scène 2

Octave est désespéré car son père Argante veut le marier alors qu'il est déjà marié en secret avec Hyacinte, une jeune fille pauvre. Il demande à Scapin, le valet rusé de Léandre, de l'aider à résoudre cette situation délicate. Scapin promet de l'aider.

Scapin

Scapin
Valet de Léandre, personnage principal

Octave

Octave
Fils d'Argante, marié avec Hyacinte

Sylvestre

Sylvestre
Ami de Scapin et valet d'Octave.

Version Moderne

Version Originale

Scapin
Qu'est-ce qui se passe, Seigneur Octave ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi es-tu si perturbé ?
Qu’est-ce, Seigneur Octave ? Qu’avez-vous ? Qu’y a-t-il ? Quel désordre est-ce là ? Je vous vois tout troublé.
Octave
Scapin, je suis perdu et désespéré, le plus malheureux des hommes.
Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu ; je suis désespéré ; je suis le plus infortuné de tous les hommes.
Scapin
Pourquoi ?
Comment ?
Octave
Tu n'es pas au courant de ma situation ?
N’as-tu rien appris de ce qui me regarde ?
Scapin
Non.
Non.
Octave
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.
Scapin
Eh bien ! Qu'est-ce qu'il y a de si terrible là-dedans ?
Hé bien ! qu’y a-t-il là de si funeste ?
Octave
Hélas ! tu ne connais pas la raison de mon inquiétude.
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.
Scapin
Non, mais tu peux me l'expliquer. Je suis là pour t'aider.
Non ; mais il ne tiendra qu’à vous que je la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.
Octave
Scapin, si tu pouvais trouver une solution à mon problème, je te serais éternellement reconnaissant.
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirois t’être redevable de plus que de la vie.
Scapin
Honnêtement, je suis capable de beaucoup de choses. J'ai un talent pour les intrigues et les ruses. Mais j'ai arrêté après un incident avec la justice.
À vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m’en veux mêler. J’ai sans doute reçu du ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire, sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd’hui ; et j’ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d’une affaire qui m’arriva.
Octave
Qu'est-ce qui s'est passé, Scapin ?
Comment ? Quelle affaire, Scapin ?
Scapin
J'ai eu des problèmes avec la justice.
Une aventure où je me brouillai avec la justice.
Octave
La justice ?
La justice ?
Scapin
Oui, nous avons eu un petit différend.
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.
Sylvestre
Toi et la justice ?
Toi et la justice ?
Scapin
Oui. Elle a très mal agi envers moi, et j'étais tellement déçu de l'ingratitude de notre époque que j'ai décidé de ne plus rien faire. Bon, racontez-moi votre histoire quand même.
Oui. Elle en usa fort mal avec moi ; et je me dépitai de telle sorte contre l’ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire. Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.
Octave
Tu sais, Scapin, il y a deux mois, le seigneur Géronte et mon père sont partis en voyage pour des affaires commerciales.
Tu sais, Scapin, qu’il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s’embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés.
Scapin
Je suis au courant.
Je sais cela.
Octave
Léandre et moi avons été laissés par nos pères, moi avec Sylvestre, Léandre avec toi.
Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Sylvestre, et Léandre sous ta direction.
Scapin
Oui, j'ai bien rempli mon rôle.
Oui. Je me suis fort bien acquitté de ma charge.
Octave
Quelque temps après, Léandre a rencontré une jeune Égyptienne dont il est tombé amoureux.
Quelque temps après, Léandre fit rencontre d’une jeune Égyptienne dont il devint amoureux.
Scapin
Je le sais aussi.
Je sais cela encore.
Octave
Comme nous sommes proches, il m'a parlé de son amour et m'a présenté cette fille. Elle était belle, mais pas autant qu'il le prétendait. Il ne parlait que d'elle, vantant sans cesse sa beauté et son esprit. Il me reprochait de ne pas être assez sensible à son amour.
Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour, et me mena voir cette fille, que je trouvai belle, à la vérité, mais non pas tant qu’il vouloit que je la trouvasse. Il ne m’entretenoit que d’elle chaque jour, m’exagéroit à tous moments sa beauté et sa grâce ; me louoit son esprit, et me parloit avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportoit jusqu’aux moindres paroles, qu’il s’efforçoit toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. Il me querelloit quelquefois de n’être pas assez sensible aux choses qu’il me venoit dire, et me blâmoit sans cesse de l’indifférence où j’étois pour les feux de l’amour.
Scapin
Je ne vois pas où tu veux en venir.
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.
Octave
Un jour, alors que nous allions voir la fille, nous avons entendu des plaintes et des sanglots dans une petite maison. Une femme nous a dit que nous allions voir quelque chose de pitoyable.
Un jour que je l’accompagnois pour aller chez les gens qui gardent l’objet de ses vœux, nous entendîmes dans une petite maison d’une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c’est ; une femme nous dit en soupirant, que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu’à moins que d’être insensibles, nous en serions touchés.
Scapin
Où cela nous mène-t-il ?
Où est-ce que cela nous mène ?
Octave
Par curiosité, nous sommes entrés et avons vu une vieille femme mourante, une servante en pleurs et une jeune fille en larmes, très belle et touchante.
La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c’étoit. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d’une servante qui faisoit des regrets, et d’une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu’on puisse jamais voir.
Scapin
Ah, ah !
Ah, ah !
Octave
Une autre aurait été effrayante dans son état ; elle n'était vêtue que d'une petite jupe et d'un chemisier de nuit en simple toile ; sa coiffure était un bonnet jaune, relevé sur sa tête, laissant ses cheveux tomber en désordre sur ses épaules ; et pourtant, malgré cela, elle était incroyablement attirante.
Une autre auroit paru effroyable en l’état où elle étoit ; car elle n’avoit pour habillement qu’une méchante petite jupe, avec des brassières de nuit qui étaient de simple futaine ; et sa coiffure étoit une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissoit tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, et ce n’étoit qu’agréments et que charmes que toute sa personne.
Scapin
Je vois où tu veux en venir.
Je sens venir les choses.
Octave
Si tu l'avais vue, Scapin, tu l'aurais trouvée admirable.
Si tu l’avois vue, Scapin, en l’état que je dis, tu l’aurois trouvée admirable.
Scapin
Je n'en doute pas, même sans l'avoir vue, je suis sûr qu'elle était charmante.
Oh ! je n’en doute point ; et sans l’avoir vue, je vois bien qu’elle étoit tout à fait charmante.
Octave
Ses larmes étaient gracieuses et sa douleur était belle.
Ses larmes n’étoient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage ; elle avoit à pleurer une grâce touchante, et sa douleur étoit la plus belle du monde.
Scapin
Je comprends.
Je vois tout cela.
Octave
Elle faisait pleurer tout le monde, en se jetant sur le corps de la mourante, qu'elle appelait sa chère mère ; et tout le monde était touché par sa bonté.
Elle faisoit fondre chacun en larmes, en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu’elle appeloit sa chère mère ; et il n’y avoit personne qui n’eût l’âme percée de voir un si bon naturel.
Scapin
En effet, c'est touchant ; et je vois bien que cette bonté vous a fait l'aimer.
En effet, cela est touchant ; et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.
Octave
Ah ! Scapin, même un barbare l'aurait aimée.
Ah ! Scapin, un barbare l’auroit aimée.
Scapin
C'est sûr, comment résister ?
Assurément. Le moyen de s’en empêcher ?
Octave
Après quelques paroles, j'ai essayé d'apaiser la douleur de cette charmante affligée, puis nous sommes sortis ; et quand j'ai demandé à Léandre ce qu'il pensait d'elle, il m'a répondu froidement qu'il la trouvait assez jolie. J'ai été piqué par sa froideur, et je n'ai pas voulu lui révéler l'effet que sa beauté avait eu sur moi.
Après quelques paroles, dont je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là ; et demandant à Léandre ce qu’il lui sembloit de cette personne, il me répondit froidement qu’il la trouvoit assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m’en parloit, et je ne voulus point lui découvrir l’effet que ses beautés avoient fait sur mon âme.
Sylvestre
Si tu ne fais pas plus court, on en a pour toute la nuit. Laisse-moi résumer. A Scapin Il est tombé amoureux d'elle et ne peut plus vivre sans elle. Il a essayé de la voir, mais la servante l'a rejeté. Il a insisté, mais on lui a dit qu'il devait l'épouser pour continuer à la voir. Malgré les difficultés, il l'a épousée.
à Octave. Si vous n’abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu’à demain. Laissez-le-moi finir en deux mots. À Scapin. Son cœur prend feu dès ce moment, il ne sauroit plus vivre, qu’il n’aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue la gouvernante par le trépas de la mère. Voilà mon homme au désespoir ; il presse, supplie, conjure ; point d’affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de famille honnête, et qu’à moins que de l’épouser, on ne peut souffrir ses poursuites. Voilà son amour augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution ; le voilà marié avec elle depuis trois jours.
Scapin
Je comprends.
J’entends.
Sylvestre
Maintenant, ajoutez à cela le retour imprévu du père, qui n'était attendu que dans deux mois ; la découverte que l'oncle a fait du secret de notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut lui faire avec la fille que le seigneur Géronte a eue d'une seconde femme qu'il a épousée à Tarente.
Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu’on n’attendoit que dans deux mois ; la découverte que l’oncle a faite du secret de notre mariage, et l’autre mariage qu’on veut faire de lui avec la fille que le seigneur Géronte a eue d’une seconde femme qu’on dit qu’il a épousée à Tarente.
Octave
Et aussi le fait qu'elle est pauvre et que je ne peux pas l'aider.
Et par-dessus tout cela, mets encore l’indigence où se trouve cette aimable personne, et l’impuissance où je me vois d’avoir de quoi la secourir.
Scapin
C'est tout ? Vous êtes bien embêtés pour une broutille ! C'est bien la peine de s'alarmer pour si peu ! N'as-tu pas honte, toi, de rester bloqué pour si peu de chose ? Que diable ! tu es grand et fort, et tu ne peux pas trouver dans ta tête, inventer dans ton esprit une ruse élégante, un petit stratagème honnête, pour régler vos affaires ! Fi ! maudit soit le rustre ! J'aurais aimé qu'on me donne autrefois nos vieux à tromper ; je les aurais joués tous les deux ; et je n'étais pas plus grand que ça, que je me distinguais déjà par cent tours d'adresse jolis.
Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle ! C’est bien là de quoi se tant alarmer ! N’as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurois trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ! Fi ! peste soit du butor ! Je voudrais bien que l’on m’eût donné autrefois nos vieillards à duper ; je les aurois joués tous deux par-dessous la jambe ; et je n’étois pas plus grand que cela, que je me signalois déjà par cent tours d’adresse jolis.
Sylvestre
Je n'ai pas tes talents, Scapin, et je ne veux pas avoir de problèmes avec la justice.
J’avoue que le ciel ne m’a pas donné tes talents, et que je n’ai pas l’esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice.
Octave
Voici ma chère Hyacinte.
Voici mon aimable Hyacinte.
Molière
Écrit par Molière Follow