L'Avare - Acte 4, Scène 4

Maître Jacques s'interpose dans la dispute entre Harpagon et Cléante au sujet de Mariane. Il défends le point de vue d'Harpagon qui lui promet une récompense.

Maître Jacques

Maître Jacques
Cuisinier et cocher d'Harpagon

Cléante

Cléante
Fils d'Harpagon, frère d'Elise et amoureux de Mariane.

Harpagon

Harpagon
Père d'Elise et de Cléante.

Version Moderne

Version Originale

Maître Jacques
Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu'est-ce que c'est ? À quoi pensez-vous ?
Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
Cléante
Je m'en fiche.
Je me moque de cela.
Maître Jacques
Doucement, monsieur.
Ah ! Monsieur, doucement.
Harpagon
Me parler avec cette impudence !
Me parler avec cette impudence !
Maître Jacques
Ah ! Monsieur, je vous en prie!
Ah ! monsieur, de grâce !
Cléante
Je ne changerai pas d'avis.
Je n'en démordrai point.
Maître Jacques
Hé quoi ! à votre père ?
Hé quoi ! à votre père ?
Harpagon
Laisse-moi faire.
Laisse-moi faire.
Maître Jacques
Quoi ! À votre fils ? Ça passe encore pour moi.
Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
Harpagon
Maître Jacques, je veux que tu juges notre affaire pour prouver que j'ai raison.
Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j'ai raison.
Maître Jacques
D'accord. Reculez un peu.
J'y consens. Eloignez-vous un peu.
Harpagon
J'aime une fille que je veux épouser, et ce vaurien ose l'aimer aussi, malgré mes ordres.
J'aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres.
Maître Jacques
Ah ! il a tort.
Ah ! il a tort.
Harpagon
N'est-ce pas horrible qu'un fils rivalise avec son père ? Ne devrait-il pas respecter mes sentiments ?
N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir de toucher à mes inclinations ?
Maître Jacques
Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, restez ici.
Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.
Cléante
D'accord, si tu veux que Maître Jacques soit le juge, je suis d'accord. Peu importe qui c'est, je suis prêt à accepter ton jugement, Maître Jacques.
Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ; il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend.
Maître Jacques
C'est un grand honneur que vous me faites.
C'est beaucoup d'honneur que vous me faites.
Cléante
Je suis amoureux d'une fille qui répond à mes sentiments, mais mon père vient perturber notre amour en la demandant en mariage.
Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit tendrement les offres de ma foi, et mon père s'avise de venir troubler notre amour, par la demande qu'il en fait faire.
Maître Jacques
Il a certainement tort.
Il a tort assurément.
Cléante
N'a-t-il pas honte, à son âge, de vouloir se marier ? Est-ce approprié pour lui d'être amoureux ? Ne devrait-il pas laisser ça aux jeunes ?
N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ?
Maître Jacques
Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui parler. Votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se calme. Il dit qu'il sait qu'il vous doit du respect ; qu'il s'est emporté seulement dans le feu de l'action, et qu'il ne refusera pas de se soumettre à ce que vous voulez, à condition que vous le traitiez mieux et que vous lui donniez une personne en mariage dont il sera satisfait.
Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots. Eh bien ! votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit ; qu'il ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en mariage, dont il ait lieu d'être content.
Harpagon
Ah ! Dis-lui, Maître Jacques, qu'il peut tout espérer de moi, à condition qu'il choisisse une autre femme que Mariane.
Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu'il voudra.
Maître Jacques
Laissez-moi faire. Votre père n'est pas si déraisonnable que vous le pensez, et il m'a dit que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'est fâché qu'avec votre façon d'agir, et qu'il sera très disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, à condition que vous utilisiez la douceur et que vous lui montriez les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.
Laissez-moi faire. Eh bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites, et il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ; qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.
Cléante
Ah ! Maître Jacques, dis-lui que si je peux épouser Mariane, je serai toujours le plus obéissant des hommes et que je ne ferai jamais rien sans sa volonté.
Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés.
Maître Jacques
C'est fait. Il est d'accord avec ce que vous dites.
Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
Harpagon
C'est parfait.
Voilà qui va le mieux du monde.
Maître Jacques
Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
Cléante
Le ciel en soit loué !
Le ciel en soit loué !
Maître Jacques
Messieurs, vous n'avez qu'à discuter ensemble ; vous êtes d'accord maintenant ; vous alliez vous disputer, faute de communication.
Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble ; vous voilà d'accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
Cléante
Mon cher maître Jacques, je te serai reconnaissant toute ma vie.
Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.
Maître Jacques
Il n'y a pas de quoi, monsieur.
Il n'y a pas de quoi, monsieur.
Harpagon
Tu m'as fait plaisir, Maître Jacques, et cela mérite une récompense. Je m'en souviendrai, je t'assure.
Tu m'as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une récompense. Va, je m'en souviendrai, je t'assure.
Maître Jacques
Je vous baise les mains.
Je vous baise les mains.
Molière
Écrit par Molière Follow