les Fourberies de Scapin - Acte 3, Scène 3

Zerbinette croise par hasard Géronte mais elle ne sait pas qu'il est le père de Léandre Elle vient d'apprendre comment Scapin a trompé un vieillard avare pour lui extorquer une grosse somme d'argent et elle en rigole encore. Géronte encore furieux des coups de bâton qu'il vient de recevoir, comprend alors qu'il est le « pigeon » de l'histoire.

Zerbinette

Zerbinette
Amoureuse d'Octave et fille perdue d'Argante.

Géronte

Géronte
Père de Léandre et de Hyacinthe.

Version Moderne

Version Originale

Zerbinette
Ah, ah. J'ai besoin de prendre l'air.
riant, sans voir Géronte. Ah, ah. Je veux prendre un peu l’air.
Géronte
Tu me le paieras, je te jure.
à part, sans voir Zerbinette. Tu me le paieras, je te jure.
Zerbinette
Ah, ah, ah, ah ! Quelle histoire amusante ! Et quel bon pigeon que ce vieillard !
sans voir Géronte. Ah, ah, ah, ah ! La plaisante histoire ! et la bonne dupe que ce vieillard !
Géronte
Je ne trouve pas ça drôle, vous ne devriez pas rire.
Il n’y a rien de plaisant à cela ; et vous n’avez que faire d’en rire.
Zerbinette
Quoi ? que voulez-vous dire, Monsieur ?
Quoi ? que voulez-vous dire, Monsieur ?
Géronte
Je veux dire que vous ne devez pas vous moquer de moi.
Je veux dire que vous ne devez pas vous moquer de moi.
Zerbinette
De vous ?
De vous ?
Géronte
Oui.
Oui.
Zerbinette
Comment ! qui songe à se moquer de vous ?
Comment ! qui songe à se moquer de vous ?
Géronte
Pourquoi êtes-vous ici à me ridiculiser ?
Pourquoi venez-vous ici me rire au nez ?
Zerbinette
Je ris d'une histoire qu'on m'a racontée, la plus drôle que j'ai jamais entendue. Un fils a joué un tour à son père pour lui soutirer de l'argent.
Cela ne vous regarde point, et je ris toute seule d’un conte qu’on vient de me faire, le plus plaisant qu’on puisse entendre. Je ne sais pas si c’est parce que je suis intéressée dans la chose ; mais je n’ai jamais trouvé rien de si drôle qu’un tour qui vient d’être joué par un fils à son père, pour en attraper de l’argent.
Géronte
Un fils a soutiré de l'argent à son père ?
Par un fils à son père, pour en attraper de l’argent ?
Zerbinette
Oui. Si vous insistez, je vous raconterai l'histoire. J'aime partager les histoires que je connais.
Oui. Pour peu que vous me pressiez, vous me trouverez assez disposée à vous dire l’affaire ; et j’ai une démangeaison naturelle à faire part des contes que je sais.
Géronte
Je vous prie de me raconter cette histoire.
Je vous prie de me dire cette histoire.
Zerbinette
Je veux bien. Je ne risque pas grand-chose en vous la racontant, et c'est une aventure qui ne restera pas secrète longtemps. Le destin a voulu que je me retrouve parmi un groupe de personnes qu'on appelle les Égyptiens, qui voyagent de province en province pour prédire l'avenir et faire d'autres choses. En arrivant dans cette ville, un jeune homme m'a vue et est tombé amoureux de moi. Dès ce moment, il me suit partout ; comme tous les jeunes hommes, il pense qu'il suffit de parler et que ses affaires sont réglées. Mais il a rencontré une fierté qui l'a fait réfléchir un peu. Il a révélé sa passion aux personnes qui me gardaient et ils étaient prêts à me laisser partir avec lui moyennant une certaine somme d'argent. Mais le problème était que mon amant se trouvait dans une situation où se trouvent souvent la plupart des fils de famille, c'est-à-dire qu'il était un peu sans argent. Il a un père qui, bien qu'étant riche, est un avare notoire, le pire homme du monde. Attendez. Je ne me souviens pas de son nom ? Haie. Aidez-moi un peu. Pouvez-vous me donner le nom de quelqu'un dans cette ville connu pour être extrêmement avare ?
Je le veux bien. Je ne risquerai pas grand’chose à vous la dire, et c’est une aventure qui n’est pas pour être longtemps secrète. La destinée a voulu que je me trouvasse parmi une bande de ces personnes qu’on appelle Égyptiens, et qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune, et quelquefois de beaucoup d’autres choses. En arrivant dans cette ville, un jeune homme me vit et conçut pour moi de l’amour. Dès ce moment, il s’attache à mes pas ; et le voilà d’abord comme tous les jeunes gens, qui croient qu’il n’y a qu’à parler, et qu’au moindre mot qu’ils nous disent, leurs affaires sont faites ; mais il trouva une fierté qui lui fit un peu corriger ses premières pensées. Il fit connoître sa passion aux gens qui me tenoient, et il les trouva disposés à me laisser à lui, moyennant quelque somme. Mais le mal de l’affaire étoit que mon amant se trouvoit dans l’état où l’on voit très souvent la plupart des fils de famille, c’est-à-dire qu’il étoit un peu dénué d’argent. Il a un père qui, quoique riche, est un avaricieux fieffé, le plus vilain homme du monde. Attendez. Ne me saurais-je souvenir de son nom ? Haie. Aidez-moi un peu. Ne pouvez-vous me nommer quelqu’un de cette ville qui soit connu pour être avare au dernier point ?
Géronte
Non.
Non.
Zerbinette
Son nom contient "ron"... ronte... Or... Oronte... Non. Gé... Géronte. Oui, Géronte, c'est lui que je déteste ; je l'ai trouvé, c'est ce radin-là dont je parle. Pour en venir à notre histoire, nos gens voulaient partir de cette ville aujourd'hui ; et mon amant allait me perdre faute d'argent si, pour en obtenir de son père, il n'avait pas trouvé de l'aide grâce à l'ingéniosité d'un serviteur qu'il a. Je connais très bien le nom du serviteur. Il s'appelle Scapin ; c'est un homme exceptionnel, il mérite tous les éloges qu'on peut lui donner.
Il y a à son nom du ron... ronte... Or... Oronte... Non. Gé... Géronte. Oui, Géronte, justement ; voilà mon vilain ; je l’ai trouvé, c’est ce ladre-là que je dis. Pour venir à notre conte, nos gens ont voulu aujourd’hui partir de cette ville ; et mon amant m’alloit perdre, faute d’argent, si, pour en tirer de son père, il n’avoit trouvé du secours dans l’industrie d’un serviteur qu’il a. Pour le nom du serviteur, je le sais à merveille. Il s’appelle Scapin ; c’est un homme incomparable, et il mérite toutes les louanges qu’on peut donner.
Géronte
Ah ! coquin que tu es !
Ah ! coquin que tu es !
Zerbinette
Voici le stratagème dont il s’est servi pour attraper sa dupe. Ah, ah, ah, ah. Je ne saurois m’en souvenir, que je ne rie de tout mon cœur. Ah, ah, ah. Il est allé trouver ce chien d’avare... ah, ah ah ; et lui a dit, qu’en se promenant sur le port avec son fils, hi, hi, ils avoient vu une galère turque où on les avait invités d’entrer ; qu’un jeune Turc leur y avoit donné la collation, ah ; que, tandis qu’ils mangeoient, on avoit mis la galère en mer ; et que le Turc l’avoit renvoyé lui seul à terre dans un esquif, avec ordre de dire au père de son maître qu’il emmenoit son fils en Alger, s’il ne lui envoyait tout à l’heure cinq cents écus. Ah, ah, ah. Voilà mon ladre, mon vilain dans de furieuses angoisses ; et la tendresse qu’il a pour son fils fait un combat étrange avec son avarice. Cinq cents écus qu’on lui demande sont justement cinq cents coups de poignard qu’on lui donne. Ah, ah, ah. Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu’il souffre lui fait trouver cent moyens ridicules pour ravoir son fils. Ah, ah, ah ! Il veut envoyer la justice en mer après la galère du Turc. Ah, ah, ah ! Il sollicite son valet de s’aller offrir à tenir la place de son fils, jusqu’à ce qu’il ait amassé l’argent qu’il n’a pas envie de donner. Ah, ah, ah. Il abandonne, pour faire les cinq cents écus, quatre ou cinq vieux habits qui n’en valent pas trente. Ah, ah, ah. Le valet lui fait comprendre à tous coups l’impertinence de ses propositions ; et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d’un « Mais que diable alloit-il faire à cette galère » ? Ah ! maudite galère ! Traître de Turc ! Enfin, après plusieurs détours, après avoir longtemps gémi et soupiré... Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte ; qu’en dites-vous ?
Voici le stratagème dont il s’est servi pour attraper sa dupe. Ah, ah, ah, ah. Je ne saurois m’en souvenir, que je ne rie de tout mon cœur. Ah, ah, ah. Il est allé trouver ce chien d’avare... ah, ah ah ; et lui a dit, qu’en se promenant sur le port avec son fils, hi, hi, ils avoient vu une galère turque où on les avait invités d’entrer ; qu’un jeune Turc leur y avoit donné la collation, ah ; que, tandis qu’ils mangeoient, on avoit mis la galère en mer ; et que le Turc l’avoit renvoyé lui seul à terre dans un esquif, avec ordre de dire au père de son maître qu’il emmenoit son fils en Alger, s’il ne lui envoyait tout à l’heure cinq cents écus. Ah, ah, ah. Voilà mon ladre, mon vilain dans de furieuses angoisses ; et la tendresse qu’il a pour son fils fait un combat étrange avec son avarice. Cinq cents écus qu’on lui demande sont justement cinq cents coups de poignard qu’on lui donne. Ah, ah, ah. Il ne peut se résoudre à tirer cette somme de ses entrailles ; et la peine qu’il souffre lui fait trouver cent moyens ridicules pour ravoir son fils. Ah, ah, ah ! Il veut envoyer la justice en mer après la galère du Turc. Ah, ah, ah ! Il sollicite son valet de s’aller offrir à tenir la place de son fils, jusqu’à ce qu’il ait amassé l’argent qu’il n’a pas envie de donner. Ah, ah, ah. Il abandonne, pour faire les cinq cents écus, quatre ou cinq vieux habits qui n’en valent pas trente. Ah, ah, ah. Le valet lui fait comprendre à tous coups l’impertinence de ses propositions ; et chaque réflexion est douloureusement accompagnée d’un « Mais que diable alloit-il faire à cette galère » ? Ah ! maudite galère ! Traître de Turc ! Enfin, après plusieurs détours, après avoir longtemps gémi et soupiré... Mais il me semble que vous ne riez point de mon conte ; qu’en dites-vous ?
Géronte
Je dis que le jeune homme est un voyou, un insolent, qui sera puni par son père pour la farce qu'il lui a faite ; que l'Égyptienne est une idiote, une impertinente, de dire des injures à un homme honorable qui saura lui apprendre à ne pas venir ici pour corrompre les enfants de famille ; et que le valet est un scélérat, qui sera envoyé à la potence par Géronte avant demain.
Je dis que le jeune homme est un pendard, un insolent, qui sera puni par son père du tour qu’il lui a fait ; que l’Égyptienne est une malavisée, une impertinente, de dire des injures à un homme d’honneur, qui saura lui apprendre à venir ici débaucher les enfants de famille ; et que le valet est un scélérat, qui sera par Géronte envoyé au gibet avant qu’il soit demain.
Molière
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