Acte 1, Scène 2

Toinette simule une blessure pour éviter les reproches d'Argan, qui s'agace de ne pouvoir la gronder. Leur échange est ponctué de plaintes et d'interruptions. Cette scène montre le jeu de pouvoir entre Argan et Toinette. Argan veut réprimander Toinette, mais elle ruse pour l'en empêcher. Leur dialogue est un va-et-vient de tentatives de domination et de résistance, illustrant la dynamique maître-serviteur. Les plaintes exagérées de Toinette et la frustration croissante d'Argan, qui ne parvient pas à la gronder, font le comique de cette scène auxquels participent l'inversion des rôles, le serviteur manipulant le maître, et la répétition des «Ha !» qui interrompent Argan.

Toinette

Toinette
Servante de Béline

Argan

Argan
Père d'Angélique et Louison; mari de Béline; Malade imaginaire

Version Moderne

Version Originale

Toinette
On y va.
(en entrant dans la chambre.) On y va.
Argan
Ah, chienne ! ah, carogne... !
Ah, chienne ! ah, carogne... !
Toinette
Maudite soit votre impatience ! Vous me stressez tellement que je me suis cognée la tête contre le coin d'un volet.
(faisant semblant de s’être cogné la tête.) Diantre soit fait de votre impatience ! vous pressez si fort les personnes, que je me suis donné un grand coup de la tête contre la carne d’un volet.
Argan
Ah, traîtresse... !
(en colère.) Ah ! traîtresse... !
Toinette
Aïe !
(pour l’interrompre et l’empêcher de crier, se plaint toujours en disant.) Ha !
Argan
Il y a...
Il y a...
Toinette
Ha !
Ha !
Argan
Il y a une heure...
Il y a une heure...
Toinette
Ha !
Ha !
Argan
Tu m’as laissé...
Tu m’as laissé...
Toinette
Ha !
Ha !
Argan
Tais-toi donc, coquine, que je te réprimande.
Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.
Toinette
Allez, franchement ! Je suis d'accord, après ce que j'ai subi.
Çamon, ma foi ! j’en suis d’avis, après ce que je me suis fait.
Argan
Tu m'as fait crier, méchante.
Tu m’as fait égosiller, carogne.
Toinette
Et vous, vous m'avez donné mal à la tête; on est quitte, si vous voulez.
Et vous m’avez fait, vous, casser la tête; l’un vaut bien l’autre; quitte à quitte, si vous voulez.
Argan
Quoi ? coquine...
Quoi ? coquine...
Toinette
Si vous me disputez, je vais pleurer.
Si vous querellez, je pleurerai.
Argan
Me laisser, traîtresse...
Me laisser, traîtresse...
Toinette
Ha !
(toujours pour l’interrompre) Ha !
Argan
Chienne, tu veux...
Chienne, tu veux...
Toinette
Ha !
Ha !
Argan
Quoi ? Je ne peut même pas avoir le plaisir de te disputer.
Quoi ? il faudra encore que je n’aye pas le plaisir de la quereller.
Toinette
Grondez moi autant que vous voulez, ça ne me dérange pas.
Querellez tout votre soûl, je le veux bien.
Argan
Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant sans cesse.
Tu m’en empêches, chienne, en m’interrompant à tous coups.
Toinette
Si vous aimez gronder, et bien moi j'aime bien pleurer; chacun son truc. Ha !
Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que, de mon côté, j’aye le plaisir de pleurer; chacun le sien, ce n’est pas trop. Ha !
Argan
Bon, il faut en passer par là. Enlève ça, coquine, enlève ça.
Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. (Argan se lève de sa chaise.) Mon lavement d’aujourd’hui a-t-il bien opéré ?
Toinette
Votre lavement ?
Votre lavement ?
Argan
Oui. Ai-je bien évacué de la bile ?
Oui. Ai-je bien fait de la bile ?
Toinette
Franchement, je ne m'occupe pas de ça ; c'est Monsieur Fleurant que cela concerne puisqu'il en tire profit.
Ma foi ! je ne me mêle point de ces affaires-là; c’est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu’il en a le profit.
Argan
Prépare mon bouillon, pour le lavement que je dois prendre bientôt.
Qu’on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l’autre que je dois tantôt prendre.
Toinette
Ce Monsieur Fleurant et ce Monsieur Purgon profitent bien de vous; vous êtes une véritable vache à lait pour eux. J'aimerais leur demander quelle maladie vous avez, pour vous donner autant de traitements.
Ce Monsieur Fleurant-là et ce Monsieur Purgon s’égayent bien sur votre corps; ils ont en vous une bonne vache à lait; et je voudrois bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes.
Argan
Tais-toi, ignorante, ce n'est pas à toi de juger les ordonnances médicales. Fais venir ma fille Angélique, j'ai quelque chose à lui dire.
Taisez-vous, ignorante, ce n’est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu’on me fasse venir ma fille Angélique, j’ai à lui dire quelque chose.
Toinette
La voilà qui arrive, elle a deviné vos pensées.
La voici qui vient d’elle-même; elle a deviné votre pensée.
Molière
Écrit par Molière Suivre