Acte 1, Scène 4

Angélique confie à Toinette son amour pour Cléante et cherche son approbation. Toinette répond avec prudence et lui suggère que le temps révélera la sincérité de cet amour. Angélique veut être rassurée sur la sincérité des sentiments de son amant. Toinette de son côté incarne la voix de la raison, répondant sans acquiescer. Comme souvent chez Molière, le comique naît de la répétition, Angélique cherchant désespérément l'approbation et Toinette répondant toujours par des acquiescements vagues. La tension entre romantisme et réalisme livre aussi une certaine ironie.

Angélique

Angélique
Fille aînée d'Argan, soeur de Louison; amoureuse de Cléante.

Toinette

Toinette
Servante de Béline

Version Moderne

Version Originale

Angélique
Toinette.
(la regardant d’un œil languissant, lui dit confidemment) Toinette.
Toinette
Quoi ?
Quoi ?
Angélique
Regarde-moi un peu.
Regarde-moi un peu.
Toinette
Hé bien ! je vous regarde.
Hé bien ! je vous regarde.
Angélique
Toinette.
Toinette.
Toinette
Hé bien, quoi, « Toinette » ?
Hé bien, quoi, « Toinette » ?
Angélique
Tu ne devines pas de quoi je veux parler ?
Ne devines-tu point de quoi je veux parler ?
Toinette
Je m'en doute assez; de notre jeune amant. Depuis six jours, nos conversations tournent toujours autour de lui. Et tu ne peux t'empêcher d'en parler à tout moment.
Je m’en doute assez; de notre jeune amant; car c’est sur lui, depuis six jours, que roulent tous nos entretiens; et vous n’êtes point bien si vous n’en parlez à toute heure.
Angélique
Si tu sais ça, pourquoi n'es-tu pas la première à en parler, et pourquoi ne m'épargnes-tu pas la peine de lancer la conversation ?
Puisque tu connois cela, que n’es-tu donc la première à m’en entretenir, et que ne m’épargnes-tu la peine de te jeter sur ce discours ?
Toinette
Tu ne me laisses pas le temps, tu es toujours préoccupée par lui.
Vous ne m’en donnez pas le temps, et vous avez des soins là-dessus qu’il est difficile de prévenir.
Angélique
Je dois admettre que je ne me lasse pas de parler de lui, et j'aime partager mes sentiments avec toi. Mais dis-moi, Toinette, condamnes-tu mes sentiments pour lui ?
Je t’avoue que je ne saurois me lasser de te parler de lui, et que mon cœur profite avec chaleur de tous les moments de s’ouvrir à toi. Mais dis-moi, condamnes-tu, Toinette, les sentiments que j’ai pour lui ?
Toinette
Pas du tout.
Je n’ai garde.
Angélique
Ai-je tort de me laisser emporter par ces doux sentiments ?
Ai-je tort de m’abandonner à ces douces impressions ?
Toinette
Je ne dis pas cela.
Je ne dis pas cela.
Angélique
Et est-ce que tu voudrais que je sois indifférente à ses déclarations d'amour passionnées ?
Et voudrois-tu que je fusse insensible aux tendres protestations de cette passion ardente qu’il témoigne pour moi ?
Toinette
Absolument pas !
À Dieu ne plaise !
Angélique
Dis-moi, ne penses-tu pas, comme moi, que cette rencontre inattendue a quelque chose de divin, un effet du destin ?
Dis-moi un peu, ne trouves-tu pas, comme moi, quelque chose du Ciel, quelque effet du destin, dans l’aventure inopinée de notre connoissance ?
Toinette
Oui.
Oui.
Angélique
Tu ne trouves pas qu'il est galant de prendre ma défense alors qu'il ne me connait même pas ?
Ne trouves-tu pas que cette action d’embrasser ma défense sans me connoître est tout à fait d’un honnête homme ?
Toinette
Oui.
Oui.
Angélique
On peut pas faire plus généreux, non ?
Que l’on ne peut pas en user plus généreusement ?
Toinette
Tout à fait d'accord.
D’accord.
Angélique
Et il a fait tout ça avec beaucoup de charme, non ?
Et qu’il fit tout cela de la meilleure grâce du monde ?
Toinette
Oh oui, absolument.
Oh ! oui.
Angélique
Tu ne trouves pas qu'il est vraiment beau ?
Ne trouves-tu pas, Toinette, qu’il est bien fait de sa personne ?
Toinette
Certainement.
Assurément.
Angélique
Il a l'air parfait, n'est-ce pas ?
Qu’il a l’air le meilleur du monde ?
Toinette
Absolument.
Sans doute.
Angélique
Ses paroles et ses actions ont quelque chose de noble, tu ne trouves pas ?
Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ?
Toinette
C'est sûr.
Cela est sûr.
Angélique
Sa passion dépasse tout ce qu'on peut entendre, n'est ce pas ?
Qu’on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu’il me dit ?
Toinette
C'est vrai.
Il est vrai.
Angélique
Et ne trouves-tu pas aussi frustrant que moi le fait qu'on me retienne, m'empêchant de répondre à son amour ?
Et qu’il n’est rien de plus fâcheux que la contrainte où l’on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire ?
Toinette
Tu as raison.
Vous avez raison.
Angélique
Mais, Toinette, penses-tu qu'il m'aime autant qu'il le prétend ?
Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu’il m’aime autant qu’il me le dit ?
Toinette
Eh bien, ces choses-là sont parfois douteuses. Les déclarations d'amour peuvent être trompeuses, j'ai vu de grands acteurs jouer ce rôle.
Eh, eh ! ces choses-là, parfois, sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d’amour ressemblent fort à la vérité; et j’ai vu de grands comédiens là-dessus.
Angélique
Oh ! Toinette, que dis-tu ? Est-ce possible qu'il me mente ?
Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! de la façon qu’il parle, seroit-il bien possible qu’il ne me dît pas vrai ?
Toinette
De toute façon, tu le sauras bientôt. Sa décision de te demander en mariage, qu'il t'a annoncée hier, te montrera s'il est sincère ou non. C'est le meilleur moyen de le savoir.
En tout cas, vous en serez bientôt éclaicie; et la résolution où il vous écrivit hier qu’il étoit de vous faire demander en mariage est une prompte voie à vous faire connoître s’il vous dit vrai, ou non; c’en sera là la bonne preuve.
Angélique
Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai plus jamais en aucun homme.
Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun homme.
Toinette
Voilà ton père qui revient.
Voilà votre père qui revient.
Molière
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