Version Moderne
Version Originale
Écoute, ma fille, j'ai une nouvelle à t'annoncer, à laquelle tu ne t'attends peut-être pas ; quelqu'un te demande en mariage. Pourquoi ris-tu ? Le mot mariage est amusant, surtout pour les jeunes filles. D'après ce que je vois, je n'ai pas besoin de te demander si tu veux te marier.
(se met dans sa chaise.)
Ô çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas; on vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage; il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles; ah ! nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.
Papa, je ferai tout ce que tu veux.
Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.
Je suis content d'avoir une fille aussi obéissante. Donc, c'est décidé, je t'ai promise.
Je suis bien aise d’avoir une fille si obéissante. La chose est donc conclue, et je vous ai promise.
Je suivrais toutes tes décisions.
C’est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés.
Ta belle-mère, ma femme, voulait que tu deviennes religieuse, tout comme ta petite sœur Louison. Elle a toujours été contre ce mariage, mais j'ai insisté et ma parole est donnée.
Ma femme, votre belle-mère, avoit envie que je vous fisse religieuse, et votre petite sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.
L'animal a ses raisons.
(tout bas.)
La bonne bête a ses raisons.
Elle était contre ce mariage, mais j'ai insisté, et ma décision est prise.
Elle ne vouloit point consentir à ce mariage, mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée.
Ah, papa, je te suis tellement reconnaissante pour ta gentillesse.
Ah ! mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés.
Vraiment, je vous félicite pour cette sage décision, la meilleure de votre vie.
En vérité, je vous sais bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.
Je n'ai pas encore rencontré le prétendant, mais on m'a assuré que je serais content, et toi aussi.
Je n’ai point encore vu la personne; mais on m’a dit que j’en serois content, et toi aussi.
Bien sûr, papa.
Assurément, mon père.
Tu l'as déjà vu ?
Comment l’as-tu vu ?
Maintenant que tu m'y autorises, je peux t'avouer que nous nous sommes rencontrés par hasard il y a six jours, et sa demande en mariage vient de l'attirance mutuelle qu'on a ressentie dès le premier regard.
Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connoître il y a six jours, et que la demande qu’on vous a faite est un effet de l’inclination que, dès cette première vue, nous avons prise l’un pour l’autre.
Ils ne m'ont rien dit de cela, mais je suis ravi. C'est encore mieux si vous vous plaisez mutuellement. On dit qu'il est grand et bien bâti.
Ils ne m’ont pas dit cela; mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune garçon bien fait.
Oui, papa.
Oui, mon père.
Il est grand.
De belle taille.
Il est charmant.
Agréable de sa personne.
Beau.
De bonne physionomie.
Intelligent et de bonne famille.
Sage, et bien né.
Tout à fait.
Tout à fait.
Très honnête.
Fort honnête.
Le plus honnête du monde.
Le plus honnête du monde.
Il parle bien le latin et le grec.
Qui parle bien latin, et grec.
Je ne saurais dire.
C’est ce que je ne sais pas.
Et il va être diplômé médecin dans trois jours.
Et qui sera reçu médecin dans trois jours.
Lui, papa ?
Lui, mon père ?
Oui. Il ne te l'a pas dit ?
Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?
Non, pas du tout. Et toi qui te l'a dit ?
Non vraiment. Qui vous l’a dit à vous ?
Monsieur Purgon.
Monsieur Purgon.
Est-ce qu'il le connaît ?
Est-ce que Monsieur Purgon le connoît ?
Évidemment, c'est son neveu.
La belle demande ! il faut bien qu’il le connoisse, puisque c’est son neveu.
Cléante, le neveu de Monsieur Purgon ?
Cléante, neveu de Monsieur Purgon ?
De quel Cléante parles-tu ? On discute de ton prétendant.
Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.
Oui, c'est le neveu de Monsieur Purgon, le fils de son beau-frère le docteur Diafoirus. Ce fils s'appelle Thomas Diafoirus, pas Cléante. Ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi avons fixé votre mariage, et demain, son père va me le présenter. Pourquoi cette surprise ?
Hé bien, c’est le neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, Monsieur Diafoirus; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi, et, demain, ce gendre prétendu doit m’être amené par son père. Qu’est-ce ? vous voilà toute ébaubie ?
Papa, je crois qu'il y a eu un malentendu. Je pensais à quelqu'un d'autre.
C’est, mon père, que je connois que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre.
Quoi ? Monsieur, vous avez vraiment prévu ce mariage ridicule ? Avec toute votre fortune, vous voulez marier votre fille à un médecin ?
Quoi ? Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?
Oui. Pourquoi te mêles-tu de ça, insolente ?
Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?
Doucement ! Ne peut-on pas discuter calmement ? Pourquoi voulez-vous ce mariage ?
Mon Dieu ! tout doux; vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?
Je suis malade et je veux un gendre médecin pour m'aider. Avoir des médecins dans la famille me permettrait d'avoir accès à des soins et des conseils médicaux.
Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations et des ordonnances.
Eh bien, c'est une raison, mais êtes-vous vraiment malade ?
Hé bien ! voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience; est-ce que vous êtes malade ?
Comment oses-tu ? Bien sûr que je suis malade !
Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ?
D'accord, d'accord, vous êtes malade, plus que vous ne le pensez. Mais votre fille n'a pas besoin d'un médecin si elle n'est pas malade.
Hé bien ! oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus; oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez; voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle; et, n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin.
C'est pour moi qu'elle épouse ce médecin. Une bonne fille devrait être heureuse d'épouser quelqu'un qui peut aider son père.
C’est pour moi que je lui donne ce médecin; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.
Vraiment, Monsieur, voulez-vous un conseil d'amie ?
Ma foi ! Monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?
Quel est ce conseil ?
Quel est-il ce conseil ?
N'envisagez pas ce mariage.
De ne point songer à ce mariage-là.
Pourquoi ?
Hé la raison ?
Parce que votre fille ne sera jamais d'accord.
La raison ? C’est que votre fille n’y consentira point.
Elle ne sera pas d'accord ?
Elle n’y consentira point ?
Oui, votre fille. Elle va refuser Monsieur Diafoirus et son fils Thomas, ainsi que tous les Diafoirus du monde.
Votre fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.
Mais moi, j'en ai besoin, et c'est un mariage plus avantageux qu'il n'y paraît. Monsieur Diafoirus n'a que ce fils pour héritier, et en plus, Monsieur Purgon, qui est sans femme ni enfants, lui lègue toute sa fortune pour ce mariage. Et Monsieur Purgon est très riche, avec huit mille livres de rente annuelle.
J’en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu’on ne pense. Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier; et, de plus, Monsieur Purgon, qui n’a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente.
Il a dû en faire mourir des gens pour s'enrichir autant.
Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche.
Huit mille livres de rente, c'est beaucoup, sans compter l'héritage du père.
Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père.
Monsieur, tout ça c'est bien, mais je maintiens qu'il vaudrait mieux lui trouver un autre mari. Elle n'est pas faite pour être Madame Diafoirus.
Monsieur, tout cela est bel et bon; mais j’en reviens toujours là; je vous conseille, entre nous, de lui choisir un autre mari, et elle n’est point faite pour être Madame Diafoirus.
Mais c'est ce que je veux.
Et je veux, moi, que cela soit.
Oh non ! Ne dites pas ça.
Eh fi ! ne dites pas cela.
Comment ça, je ne devrais pas le dire ?
Comment, que je ne dise pas cela ?
Et pourquoi ne devrais-je pas le dire ?
Et pourquoi ne le dirai-je pas ?
Parce que ça n'a pas de sens.
On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.
Peu importe ce qu'on dira, je veux qu'elle tienne la promesse que j'ai faite.
On dira ce qu’on voudra; mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée.
Non; je suis sûr qu’elle ne le fera pas.
Non; je suis sûr qu’elle ne le fera pas.
Je l’y forcerai bien.
Je l’y forcerai bien.
Elle ne le fera pas, vous dis-je.
Elle ne le fera pas, vous dis-je.
Elle le fera, ou je la mettrai dans un convent.
Elle le fera, ou je la mettrai dans un convent.
Comment, « bon » ?
Comment, « bon » ?
Vous ne l'enverrez pas au couvent.
Vous ne la mettrez point dans un convent.
Je ne l'enverrai pas dans un couvent ?
Je ne la mettrai point dans un convent ?
Ah, c'est drôle ! Je ne peux pas mettre ma fille dans un couvent si je le souhaite ?
Ouais ! voici qui est plaisant; je ne mettrai pas ma fille dans un convent, si je veux ?
Non, je vous dis.
Non, vous dis-je.
Qui m’en empêchera ?
Qui m’en empêchera ?
Oui, vous n'aurez pas le courage de le faire.
Oui, vous n’aurez pas ce cœur-là.
Si, je l'aurai.
Je l’aurai.
Vous plaisantez.
Vous vous moquez.
Je ne plaisante pas.
Je ne me moque point.
La tendresse paternelle vous prendra.
La tendresse paternelle vous prendra.
Elle ne me prendra point.
Elle ne me prendra point.
Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un « mon petit papa mignon », prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher.
Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un « mon petit papa mignon », prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher.
Tout ça ne changera rien.
Tout cela ne fera rien.
Je te dis que je ne changerai pas d'avis.
Je vous dis que je n’en démordrai point.
Il ne faut point dire « bagatelles ».
Il ne faut point dire « bagatelles ».
Mon Dieu, je vous connais, vous êtes naturellement gentil.
Mon Dieu ! je vous connois, vous êtes bon naturellement.
Je ne suis pas gentil, et je peux être méchant si je veux.
(avec emportement.)
Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.
Doucement, Monsieur; vous oubliez que vous êtes malade.
Doucement, Monsieur; vous ne songez pas que vous êtes malade.
Je lui ordonne fermement de se préparer à épouser l'homme que je choisis.
Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.
Et moi, je lui interdis catégoriquement de faire quoi que ce soit.
Et moi, je lui défends absolument d’en faire rien.
Où sommes-nous ? Comment ose cette servante parler ainsi devant son maître ?
Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ?
Quand un maître agit sans réfléchir, une servante sensée a le devoir de le corriger.
Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.
Ah ! Insolente, je vais te corriger.
(court après Toinette.)
Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.
Il est de mon devoir de m'opposer à ce qui pourrait vous déshonorer.
(se sauve de lui.)
Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
Viens, viens, que je t’apprenne à parler.
(en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.)
Viens, viens, que je t’apprenne à parler.
Je m'efforce, comme je le dois, de vous empêcher de faire des bêtises.
(courant, et se sauvant du côté de la chaise où n’est pas Argan.)
Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
Non, je ne donnerai jamais mon accord pour ce mariage.
Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
Je refuse qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.
Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.
Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.
Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.
Angélique, tu ne veux pas arrêter cette insolente ?
Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette coquine-là ?
Oh, papa, ne te mets pas en colère.
Eh ! mon père, ne vous faites point malade.
Si tu ne l'arrêtes pas, je te maudirai.
Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction.
Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.
Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.
Ah ! ah ! je n'en peux plus. C'est de quoi me tuer.
(se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle.)
Ah ! ah ! je n’en puis plus; Voilà pour me faire mourir.