Acte 1, Scène 6

La scène est un échange entre Argan, sa femme Béline et la servante Toinette. Argan se plaint à Béline, sa femme, de l'insolence de Toinette. Béline tente de l'apaiser. Toinette, sous couvert de douceur, continue à provoquer Argan. La scène se termine par Toinette qui essaye de mettre un un oreiller sur la tête d'Argan. La scène est comique en raison des malentendus, de l'exagération des réactions d'Argan et du contraste entre les intentions cachées de Toinette et son apparence soumise. Le comique est aussi physique quand Toinette place brusquement un oreiller sur la tête d'Argan, provoquant sa colère.

Argan

Argan
Père d'Angélique et Louison; mari de Béline; Malade imaginaire

Béline

Béline
Seconde femme d'Argan et belle mère d'Angélique et de Louison

Toinette

Toinette
Servante de Béline

Version Moderne

Version Originale

Argan
Chérie, viens ici.
Ah ! ma femme, approchez.
Béline
Qu'est-ce qui se passe, mon mari ?
Qu’avez-vous, mon pauvre mari ?
Argan
Viens m'aider.
Venez-vous-en ici à mon secours.
Béline
Que se passe-t-il, mon chéri ?
Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit fils ?
Argan
Mamie.
Mamie.
Béline
Mon chéri.
Mon ami.
Argan
On m'a mis en colère !
On vient de me mettre en colère !
Béline
Oh, pauvre petit mari. Comment ça, mon chéri ?
Hélas ! pauvre petit mari. Comment donc, mon ami ?
Argan
Cette Toinette insolente est pire que jamais.
Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.
Béline
Ne te mets pas en colère.
Ne vous passionnez donc point.
Argan
Elle m’a fait enrager, mamie.
Elle m’a fait enrager, mamie.
Béline
Allons, calme-toi.
Doucement, mon fils.
Argan
Pendant une heure, elle a contrarié tout ce que je veux faire.
Elle a contrecarré, une heure durant, les choses que je veux faire.
Béline
Doucement, doucement.
Là, là, tout doux.
Argan
Et elle a osé me dire que je ne suis pas malade.
Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.
Béline
Quelle insolente.
C’est une impertinente.
Argan
Tu sais, mon cœur, ce qu'il en est.
Vous savez, mon cœur, ce qui en est.
Béline
Oui, mon cœur, elle a tort.
Oui, mon cœur, elle a tort.
Argan
Chérie, cette fille va me tuer.
Mamour, cette coquine-là me fera mourir.
Béline
Eh là, eh là !
Eh là, eh là !
Argan
Elle est la cause de tous mes problèmes.
Elle est la cause de toute la bile que je fais.
Béline
Ne te mets pas autant en colère.
Ne vous fâchez point tant.
Argan
Je t'ai demandé plusieurs fois de la renvoyer.
Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.
Béline
Mon Dieu ! Tous les serviteurs ont leurs défauts. Parfois, on doit tolérer leurs mauvaises qualités pour leurs bonnes. Elle est habile, attentive, diligente et surtout fidèle. Il faut être prudent avec les gens qu'on embauche. Toinette !
Mon Dieu ! mon fils, il n’y a point de serviteurs et de servantes qui n’ayent leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle, et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l’on prend. Holà ! Toinette.
Toinette
Madame.
Madame.
Béline
Pourquoi mets-tu mon mari en colère ?
Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère ?
Toinette
Moi, madame ? Je ne comprends pas ce que vous dites, je cherche juste à satisfaire monsieur en tout.
(d’un ton doucereux.) Moi, Madame, hélas ! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à Monsieur en toutes choses.
Argan
Ah ! la traîtresse !
Ah ! la traîtresse !
Toinette
Il a dit qu'il voulait marier sa fille au fils de Monsieur Diafoirus. Je lui ai répondu que c'était un bon parti pour elle, mais qu'il serait peut-être mieux de la mettre dans un couvent.
Il nous a dit qu’il vouloit donner sa fille en mariage au fils de Monsieur Diafoirus; je lui ai répondu que je trouvois le parti avantageux pour elle; mais que je croyois qu’il feroit mieux de la mettre dans un convent.
Béline
Je ne vois pas de mal à cela, je pense qu'elle a raison.
Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.
Argan
Ah, ma chérie, tu la crois. C'est une méchante, elle m'a insulté.
Ah ! mamour, vous la croyez. C’est une scélérate; elle m’a dit cent insolences.
Béline
Eh bien, je te crois, mon ami. Calme-toi. Écoute, Toinette, si tu énerves encore mon mari, je te mettrai dehors. Donne-moi son manteau et des oreillers, je vais l'installer dans sa chaise. Tu es tout décoiffé. Mets bien ton bonnet sur tes oreilles, rien ne donne plus froid que de prendre l'air par les oreilles.
Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Écoutez Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l’accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles; il n’y a rien qui enrhume tant que de prendre l’air par les oreilles.
Argan
Ah, ma chérie, je te suis tellement reconnaissant pour tout ce que tu fais pour moi !
Ah ! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !
Béline
Lève-toi, que je mette ceci sous toi. Mettons celui-ci pour te soutenir, et celui-là de l'autre côté. Mettons celui-ci derrière ton dos, et cet autre pour soutenir ta tête.
(accommodant les oreillers qu’elle met autour d’Argan.) Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.
Toinette
Et celui-ci pour vous protéger du froid.
(lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant.) Et celui-ci pour vous garder du serein.
Argan
Ah ! coquine, tu veux m’étouffer.
(se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette.) Ah ! coquine, tu veux m’étouffer.
Béline
Eh bien, eh bien ! Qu'est-ce qui se passe ?
Eh là, eh là ! Qu’est-ce que c’est donc ?
Argan
Ah, ah, ah ! Je n'en peux plus.
(tout essoufflé, se jette dans sa chaise.) Ah, ah, ah ! je n’en puis plus.
Béline
Pourquoi t'énerver comme ça ? Elle a pensé bien faire.
Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.
Argan
Tu ne connais pas, ma chérie, la malice de cette fille. Ah, elle m'a mis hors de moi; et il faudra plus de huit médicaments, et douze lavements, pour réparer tout ça.
Vous ne connoissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m’a mis tout hors de moi; et il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci.
Béline
Allez, allez, mon petit chéri, calme-toi un peu.
Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.
Argan
Ma chérie, tu es toute ma consolation.
Mamie, vous êtes toute ma consolation.
Béline
Pauvre petit.
Pauvre petit fils.
Argan
Pour essayer de te remercier de l'amour que tu me portes, je veux, mon cœur, comme je te l'ai dit, faire mon testament.
Pour tâcher de reconnoître l’amour que vous me portez, je veux, mon cœur, comme je vous ai dit, faire mon testament.
Béline
Ah, mon ami, ne parlons pas de ça, je t'en prie; je ne peux pas supporter cette pensée; et le seul mot de testament me fait frémir de douleur.
Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie; je ne saurois souffrir cette pensée; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.
Argan
Je t'avais dit de parler de ça à ton notaire.
Je vous avois dit de parler pour cela à votre notaire.
Béline
Il est là, je l'ai amené avec moi.
Le voilà là-dedans, que j’ai amené avec moi.
Argan
Fais-le entrer, ma chérie.
Faites-le donc entrer, mamour.
Béline
Hélas, mon ami, quand on aime vraiment son mari, on n'est guère en état de penser à tout ça.
Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n’est guère en état de songer à tout cela.
Molière
Écrit par Molière Suivre