Version Moderne
Version Originale
Venez, Monsieur de Bonnefoy, venez. Asseyez-vous, s'il vous plaît. Ma femme m'a dit que vous êtes quelqu'un de bien et un de ses proches amis. Elle devait vous parler d'un testament que je souhaite rédiger.
Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siège, s’il vous plaît. Ma femme m’a dit, Monsieur, que vous étiez fort honnête homme, et tout à fait de ses amis; et je l’ai chargée de vous parler pour un testament que je veux faire.
Malheureusement, je ne suis pas compétente pour parler de ces sujets.
Hélas ! je ne suis point capable de parler de ces choses-là.
Monsieur, elle m'a fait part de vos intentions envers elle. Cependant, je dois vous informer que vous ne pouvez rien léguer à votre femme par testament.
Elle m’a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle; et j’ai à vous dire là-dessus que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament.
Mais pourquoi ?
Mais pourquoi ?
La loi locale l'interdit. En d'autres régions, cela serait possible, mais à Paris et dans la plupart des régions régies par les coutumes, cela est impossible et serait considéré comme nul. Le seul avantage qu'un couple marié peut s'accorder mutuellement, c'est un don de son vivant, et encore, il ne faut pas qu'il y ait d'enfants issus de leur union ou de précédentes unions, à la mort du premier conjoint.
La Coutume y résiste. Si vous étiez en pays de droit écrit, cela se pourroit faire; mais, à Paris, et dans les pays coutumiers, au moins dans la plupart, c’est ce qui ne se peut, et la disposition seroit nulle. Tout l’avantage qu’homme et femme conjoints par mariage se peuvent faire l’un à l’autre, c’est un don mutuel entre-vifs; encore faut-il qu’il n’y ait enfants, soit des deux conjoints, ou de l’un d’eux, lors du décès du premier mourant.
Quelle coutume absurde, ne pas pouvoir laisser quelque chose à une femme qui m'aime tendrement et prend soin de moi. J'aimerais consulter mon avocat pour voir ce que je peux faire.
Voilà une Coutume bien impertinente, qu’un mari ne puisse rien laisser à une femme dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J’aurois envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrois faire.
Les avocats ne sont pas les bonnes personnes à consulter, ils sont souvent stricts sur ces questions et pensent que contourner la loi est un crime grave. Ils aiment créer des complications et ne connaissent pas les subtilités de la conscience. Il y a d'autres personnes plus flexibles, qui ont des solutions pour contourner la loi et légitimer ce qui est interdit, qui savent comment surmonter les obstacles et trouver des moyens détournés. Sinon, où serions-nous ? Il faut de la souplesse, sinon on ne ferait rien, et notre métier ne vaudrait rien.
Ce n’est point à des avocats qu’il faut aller, car ils sont d’ordinaire sévères là-dessus, et s’imaginent que c’est un grand crime que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n’est pas permis; qui savent aplanir les difficultés d’une affaire, et trouver des moyens d’éluder la Coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours ? Il faut de la facilité dans les choses; autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerois pas un sou de notre métier.
Ma femme avait raison, vous êtes très compétent et honnête. Comment puis-je faire pour lui donner mon bien et priver mes enfants ?
Ma femme m’avoit bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ?
Que faire ? Vous pouvez léguer vos biens à un proche ami de votre femme par testament, qui lui rendra ensuite tout. Vous pouvez aussi créer de nombreuses dettes fictives au profit de créanciers qui prêteront leur nom à votre femme et déclareront que leur action n'était que pour lui faire plaisir. Ou bien, de votre vivant, vous pouvez lui donner de l'argent ou des billets au porteur.
Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par votre testament tout ce que vous pouvez; et cet ami ensuite lui rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d’obligations, non suspectes, au profit de divers créanciers, qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu’ils en ont fait n’a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l’argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur.
Mon Dieu ! Ne vous tourmentez pas. Si vous veniez à disparaître, je ne voudrais plus vivre.
Mon Dieu ! il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.
Oui, mon amour, si jamais je te perdais...
Oui, mon ami, si je suis assez malheureuse pour vous perdre...
Ma chère femme !
Ma chère femme !
La vie n'aurait plus de sens pour moi.
La vie ne me sera plus de rien.
Et je te suivrais dans la mort pour te montrer combien je t'aime.
Et je suivrai vos pas, pour vous faire connoître la tendresse que j’ai pour vous.
Mon cœur, tu me bouleverses. Reprends-toi, je t'en supplie.
Mamie, vous me fendez le cœur. Consolez-vous, je vous en prie.
Ces larmes sont prématurées, les choses n'en sont pas encore là.
Ces larmes sont hors de saison, et les choses n’en sont point encore là.
Oh ! Monsieur, vous ne savez pas ce que c'est d'aimer tendrement son mari.
Ah ! Monsieur, vous ne savez pas ce que c’est qu’un mari qu’on aime tendrement.
Si je meurs, mon seul regret sera de ne pas avoir eu d'enfant avec toi. Monsieur Purgon m'avait promis qu'il nous aiderait à en avoir un.
Tout le regret que j’aurai, si je meurs, mamie, c’est de n’avoir point un enfant de vous. Monsieur Purgon m’avoit dit qu’il m’en feroit faire un.
Il est encore temps.
Cela pourra venir encore.
Il faut rédiger mon testament, mon amour, comme le notaire l'indique. Mais pour être sûr, je veux te donner vingt mille francs en or cachés dans ma chambre, plus deux chèques à encaisser, dus par Monsieur Damon et Monsieur Gérante.
Il faut faire mon testament, mamour, de la façon que Monsieur dit; mais, par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j’ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l’un par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gérante.
Non, non, je ne veux rien de tout ça. Combien as-tu dit qu'il y a dans ta chambre ?
Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah ! combien dites-vous qu’il y a dans votre alcôve ?
Vingt mille francs, mon amour.
Vingt mille francs, mamour.
Ne parlons pas d'argent, je t'en prie. Et les chèques, ils sont de combien ?
Ne me parlez point de bien, je vous prie. Ah ! de combien sont les deux billets ?
L'un est de quatre mille francs, et l'autre de six mille.
Ils sont, mamie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.
Toutes les richesses du monde ne valent rien pour moi sans toi.
Tous les biens du monde, mon ami, ne me sont rien au prix de vous.
Voulez-vous que nous commencions le testament ?
Voulez-vous que nous procédions au testament ?
Oui, Monsieur. Mais on sera mieux dans mon bureau. Mon amour, peux-tu m'aider à y aller ?
Oui, Monsieur; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. Mamour, conduisez-moi, je vous prie.
Allons, mon cher petit mari.
Allons, mon pauvre petit fils.