Acte 2, Scène 2

Dom Juan séduit Charlotte

Dom Juan, rencontre Charlotte et cherche à la séduire par des flatteries et une promesse de mariage, alors qu'elle doit se marier avec Pierrot. Sganarelle, à la fois complice et critique envers son maître, l'observe mais ne le contredit pas frontalement. Charlotte, quant à elle, est honnête, naïve, et très sensible au charme de Dom Juan. Elle n'hésite pas longtemps avant d'oublier Pierrot et d'accepter la proposition de mariage du séducteur.
Cette scène montre le pouvoir de séduction de Dom Juan grâce à son éloquence. L'interaction entre les personnages est riche en ironie et en critique sociale. Les manœuvres de séduction exagérées de Dom Juan et des apartés de Sganarelle apportent une dimension comique à la démonstration de frivolité de Dom Juan et de la naïveté de Charlotte.

Dom Juan

Dom Juan
Libertin

Sganarelle

Sganarelle
Le valet de Dom Juan

Charlotte

Charlotte
Une paysanne

Version Moderne

Version Originale

Dom Juan
On a raté notre coup, Sganarelle, et la tempête a fait chavirer notre bateau et nos plans. Mais pour être honnête, la paysanne que je viens de laisser m'a fait oublier cet échec. Elle a un charme qui m'a fait perdre toute ma tristesse. Je ne veux pas la laisser filer, et je l'ai déjà préparée à ne pas me résister longtemps.
Nous avons manqué notre coup Sganarelle, et cette bourrasque imprévue a renversé, avec notre barque, le projet que nous avions fait ; mais à te dire vrai la paysanne que je viens de quitter répare ce malheur, et je lui ai trouvé des charmes qui effacent de mon esprit tout le chagrin que me donnait le mauvais succès de notre entreprise ; il ne faut pas que ce cœur m’échappe, et j’y ai déjà jeté des dispositions à ne me pas souffrir de pousser longtemps des soupirs.
Sganarelle
Monsieur, je suis surpris. On vient d'éviter la mort, et au lieu de remercier le ciel, vous cherchez à nouveau à provoquer sa colère avec vos caprices et vos aventures amoureuses... Taisez-vous, idiot, vous ne savez pas ce que vous dites. Monsieur sait ce qu'il fait, allons.
Monsieur j’avoue que vous m’étonnez, à présent que nous sommes échappés d’un péril de mort, qu’au lieu de rendre grâce au ciel de la peine qu’il a daigné prendre de nous, vous travaillez tout de nouveau à vous attirer sa colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr... paix, coquin que vous êtes, vous ne savez ce que vous dites, et Monsieur sait ce qu’il fait, allons
Dom Juan
Regarde cette autre paysanne, n'est-elle pas charmante ? Sganarelle, tu ne trouves pas qu'elle vaut la première ?
Ah ah, d’où sort cette autre Paysanne ? Sganarelle as-tu rien vu de plus joli, et ne trouves tu pas, dis-moi, que celle-ci vaut bien l’autre ?
Sganarelle
Tout à fait. Encore une nouvelle conquête.
Assurément. Autre pièce nouvelle.
Dom Juan
D'où viens-tu, ma belle, pour me faire une si agréable surprise ? Comment, dans cette campagne, parmi les arbres et les rochers, peut-on trouver quelqu'un d'aussi charmant que toi ?
D’où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? quoi, dans ces lieux champêtres, parmi ces arbres, et ces Rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes ?
Charlotte
Comme vous voyez, monsieur.
Vous voyez Monsieur.
Dom Juan
Êtes-vous de ce Village ?
Êtes-vous de ce Village ?
Charlotte
Oui Monsieur.
Oui Monsieur.
Dom Juan
Et vous y demeurez ?
Et vous y demeurez ?
Charlotte
Oui Monsieur.
Oui Monsieur.
Dom Juan
Vous vous appellez.
Vous vous appellez.
Charlotte
Charlotte pour vous servir.
Charlotte pour vous servir.
Dom Juan
Ah la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants !
Ah la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants !
Charlotte
Monsieur, vous me faites rougir.
Monsieur vous me rendez toute honteuse.
Dom Juan
Oh, n'ayez pas honte d'entendre la vérité. Sganarelle, qu'en penses-tu ? Peut-on trouver quelqu'un de plus charmant ? Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Cette silhouette est vraiment jolie ! Et le visage, magnifique ! Ouvrez complètement les yeux, qu'ils sont beaux ! Montrez-moi vos dents, je vous prie. Elles sont ravissantes, et ces lèvres sont appétissantes ! Pour ma part, je suis enchanté, je n'ai jamais vu une personne aussi charmante.
Ah n’ayez point de honte d’entendre dire vos vérités. Sganarelle qu’en dis tu ? peut on rien voir de plus agréable ? tournez-vous un peu s’il vous plaît ; ah que cette taille est jolie ! haussez un peu la tête de grâce. ah que ce visage est mignon ! ouvrez vos yeux entièrement, ah qu’ils sont beaux ! que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah qu’elles sont amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! pour moi je suis ravi, et je n’ai jamais veu une si charmante personne.
Charlotte
Monsieur, vous dites cela pour me taquiner, je crois.
Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c’est pour vous railler de moi.
Dom Juan
Moi, vous taquiner ? Non, je vous en prie, je vous parle du fond du cœur.
Moi, me railler de vous, Dieu m’en garde, je vous aime trop pour cela, c’est du fond du cœur que je vous parle.
Charlotte
Si c'est vrai, merci.
Je vous suis bien obligée si cela est.
Dom Juan
Pas du tout, vous ne me devez rien pour ce que je dis, c'est à votre beauté que vous devez tout cela.
Point du tout, vous ne m’êtes point obligée de tout ce que je dis, et ce n’est que à votre beauté que vous en êtes redevable.
Charlotte
Monsieur, vous parlez trop bien pour moi, je ne sais pas quoi répondre.
Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n’ai pas d’esprit pour vous répondre.
Dom Juan
Sganarelle, regarde un peu ses mains.
Sganarelle, regarde un peu ses mains.
Charlotte
Oh, Monsieur, elles sont sales.
Fi, Monsieur, elles sont noires comme je ne sais quoi.
Dom Juan
Mais non, elles sont magnifiques, laissez-moi les embrasser, s'il vous plaît.
Ah que dites vous là ? elles sont les plus belles du monde, souffrez que je les baise, je vous prie.
Charlotte
Monsieur, vous me faites trop d'honneur. Si j'avais su, je les aurais lavées avant.
Monsieur, c’est trop d’honneur que vous me faites, et si j’avais su ça tantôt je n’aurais pas manqué de les laver avec du son.
Dom Juan
Dites-moi, Charlotte, vous n'êtes pas mariée, n'est-ce pas ?
Et dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n’êtes pas mariée sans doute ?
Charlotte
Non, Monsieur, mais je vais me marier avec Pierrot, le fils de notre voisine Simonette.
Non Monsieur, mais je dois bien l’être avec Piarrot, le fils de la voisine Simonette.
Dom Juan
Quoi ! Vous, si belle, épouser un simple paysan ? Non, vous méritez mieux. Je vous aime, et je veux vous sortir de ce village misérable. Je vous aime autant en un quart d'heure que d'autres en six mois.
Quoi ! une personne comme vous seriez la femme d’un simple Paysan ? non, non, c’est profaner tant de beauté, et vous n’êtes pas née pour demeurer dans un Village ; vous méritez sans doute une meilleure fortune, et le Ciel qui le connaît bien m’a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes ; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de tout mon cœur, et il ne tiendra qu’à vous que je ne vous arrache de ce lieu misérable, et ne vous mette dans l’état où vous méritez d’être ; cet amour est bien prompt sans doute ; mais quoi ! c’est un éclat, Charlotte, de votre grande beauté, et l’on vous aime autant en un quart d’heure qu’on ferait une autre en six mois.
Charlotte
Monsieur, je ne sais pas, quand vous parlez, ça me rend heureuse. J'aimerais vous croire, mais on m'a toujours dit de ne pas faire confiance aux hommes comme vous, que vous ne cherchez qu'à tromper les filles.
Aussi vrai, Monsieur, je ne sais comment vous faites quand vous parlez, ce que vous dites me fait aise, et j’aurais toutes les envies du monde de vous croire, mais on m’a toujours dit qu’il ne faut jamais croire les Monsieurs, et que vous autres Courtisans vous êtes des enjôleurs qui ne songez qu’à abuser les filles.
Dom Juan
Je ne suis pas comme les autres.
Je ne suis pas de ces gens-là.
Sganarelle
Absolument pas.
Il n’a garde.
Charlotte
Monsieur, je suis une pauvre paysanne mais j’ai de l’honneur, et je préfère mourir que d’être déshonorée.
Voyez-vous, Monsieur, il n’y a pas plaisir à se laisser abuser : je suis une pauvre paysanne, mais j’ai l’honneur en recommandation, et j’aimerais mieux me voir morte que de me voir déshonorée.
Dom Juan
Moi, abuser de vous ? Non, je vous aime honnêtement et je veux vous épouser. Je suis prêt à le prouver quand vous voulez.
Moi j’aurais l’âme assez méchante pour abuser une personne comme vous ? je serais assez lâche pour vouloir vous déshonorer ? non, non, j’ai trop de conscience pour cela ; je vous aime Charlotte en tout bien et en tout honneur, et pour vous montrer que je vous dis vrai, sachez que je n’ai point d’autre dessein que de vous épouser. En voulez vous un plus grand témoignage ? m’y voilà prêt quand vous voudrez, et je prends à témoin l’homme que voilà de la parole que je vous donne.
Sganarelle
Ne vous inquiétez pas, il vous épousera.
Non, non, ne craignez point, il se mariera avec vous tant que vous voudrez.
Dom Juan
Charlotte, vous me faites une injustice en me comparant aux autres. Si certains hommes sont malhonnêtes, vous devez me croire différent. Votre beauté vous protège contre ce genre de tromperie. Vous n'avez pas l'air de quelqu'un qu'on peut duper, et je me ferais mille blessures plutôt que de penser à vous trahir.
Eh Charlotte, je vois bien que vous ne me connaissez pas encore, vous me faites grand tort de juger de moi par les autres ; et s’il y a des fourbes dans le monde, des gens qui ne cherchent qu’à abuser des filles, vous devez me tirer du nombre, et ne pas mettre en doute la sincérité de ma foi ; et puis votre beauté vous assure de tout ; quand on est faite comme vous, on doit être à couvert de toutes ces sortes de créances ; vous n’avez point l’air, croyez-moi, d’une personne qu’on abuse, et pour moi, je vous l’avoue, je me percerais le cœur de mille coups si j’avais eu la moindre pensée de vous trahir.
Charlotte
Mon Dieu, je ne sais pas si vous êtes sincère, mais vous êtes convaincant.
Mon Dieu, je ne sais si vous dites vrai ou non, mais vous faites que l’on vous croie.
Dom Juan
Si vous me croyez, alors vous me rendez justice. Je vous promets encore une fois de vous épouser. Voulez-vous être ma femme ?
Lorsque vous me croyez, vous me rendez justice assurément, et je vous réitère encore la promesse que je vous ai faite, ne la croyez-vous pas ? et ne voulez-vous pas consentir à être ma femme ?
Charlotte
Oui, si ma tante est d'accord.
Oui, pourvu que ma tante le veuille.
Dom Juan
Alors, donnez-moi votre main, pour montrer que vous êtes d'accord.
Touchez donc là, Charlotte, que vous le voulez donc bien de votre part.
Charlotte
Mais ne me trompez pas, s'il vous plaît. Cela serait malhonnête de votre part, et vous voyez bien que je vous fais confiance.
Mais au moins Monsieur, ne m’y allez pas tromper je vous prie, il y aurait de la conscience à vous, et vous voyez comme j’y vais à la bonne foi.
Dom Juan
Vous doutez encore de moi ? Voulez-vous que je jure solennellement ?
Comment, il semble que vous doutiez encore de ma sincérité ! voulez-vous que je vous fasse des serments épouvantables ? que le Ciel.
Charlotte
Mon Dieu ! ne jurez point, je vous crois.
Mon Dieu ! ne jurez point, je vous crois.
Dom Juan
Alors donnez-moi un baiser comme preuve de votre promesse.
Donnez-moi donc un petit baiser pour gage de votre parole.
Charlotte
Oh, Monsieur ! Attendez qu'on soit mariés, s'il vous plaît. Après, je vous embrasserai autant que vous voudrez.
Oh, Monsieur ! attendez que je soyons mariées, je vous prie, après ça je vous baiserai tant que vous voudrez.
Dom Juan
Très bien, Charlotte, je respecte votre choix. Donnez-moi votre main et laissez-moi exprimer par des baisers ma joie.
Et bien, belle Charlotte, je veux tout ce que vous voulez, abandonnez-moi seulement votre main, et souffrez, que par cent baisers je lui exprime le ravissement où je suis.
Molière
Écrit par Molière Suivre