Acte 4, Scène 4

Don Louis renie son fils

Echange tendu entre Dom Juan et son père, Don Louis. Ce dernier exprime sa déception face aux actions immorales de son fils, le mettant en garde contre les conséquences de ses actes. Malgré les paroles de son père, Dom Juan reste insolent et indifférent.

La Violette

La Violette
Un laquais de Dom Juan

Dom Juan

Dom Juan
Libertin

Don Louis

Don Louis
Le père de Dom Juan

Version Moderne

Version Originale

La Violette
Monsieur, voici votre père.
Monsieur. Voilà Monsieur votre Père.
Dom Juan
Ah, me voilà bien ! Cette visite ne fait que m'irriter.
Ah me voici bien ! il me fallait cette visite pour me faire enrager.
Don Louis
Je vois que je te dérange et que tu pourrais très bien te passer de ma présence. En réalité, on s'incommode mutuellement, et si tu en as assez de me voir, moi aussi je suis fatigué de tes comportements. Hélas ! On ne sait pas ce qu'on fait quand on veut contrôler les choses que le Ciel nous donne, quand on pense savoir mieux que lui, et qu'on le dérange avec nos désirs aveugles et nos demandes inconsidérées ! J'ai désiré un fils avec une passion sans égale, je l'ai demandé sans relâche avec une passion incroyable ; et ce fils, que j'ai obtenu en fatiguant le Ciel de vœux, est la douleur et le tourment de cette même vie que je croyais qu'il devait être la joie et la consolation.
Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue : à dire vrai nous nous incommodons étrangement l’un l’autre, et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements ; hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu’il nous donne, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l’importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! j’ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles, je l’ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j’obtiens en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette même vie dont je croyais qu’il devait être la joie et la consolation : De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes, dont on a peine aux yeux du monde d’adoucir le mauvais visage ? cette suite continue de méchantes affaires, qui nous réduisent à toute heure à lasser la bonté du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? ah quelle bassesse est la vôtre ! ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ; êtes-vous en droit, dites-moi, d’en tirer quelque vanité ? et qu’avez vous fait dans le monde pour être Gentilhomme ? croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sorti d’un sang noble, lors que nous vivons en infâmes ? non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas ; ainsi nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler, et cet éclat de leurs actions qu’ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né, ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu’ils ont fait d’illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire l’éclat n’en rejaillit sur nous qu’à notre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d’un chacun la honte de vos actions. Apprenez encore qu’un Gentilhomme qui vit mal, est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu’on signe, qu’aux actions qu’on fait, et que je ferais plus d’état d’un fils d’un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d’un Monarque qui vivrait comme vous.
Dom Juan
Monsieur, vous seriez plus à l'aise pour parler si vous étiez assis.
Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez bien mieux pour parler.
Don Louis
Non, insolent, je ne veux ni m'asseoir ni parler plus. Je vois bien que mes mots n'ont aucun effet sur toi. Mais sache, fils indigne, que ma patience de père est à bout à cause de tes agissements. Je pourrais plus vite que tu ne le penses mettre fin à tes excès, devancer la colère du Ciel et effacer la honte de t'avoir engendré en te punissant.
Non, insolent, je ne veux point m’asseoir ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme ; mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurais plutôt que tu ne penses mettre cette borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t’avoir fait naître.
Molière
Écrit par Molière Suivre