Acte 2, Scène 8

Argan interroge sa fille Louison sur ce qu'elle a vu, insistant pour qu'elle révèle la visite de Cléante dans la chambre d'Angélique. Après avoir feint la mort pour éviter le châtiment, Louison fini par avouer avoir vu un homme chez sa sœur. La scène est un jeu de cache-cache entre le père et sa fille, où le pouvoir et la ruse sont en équilibre. La tension monte jusqu'à la feinte de Louison, puis se résout dans l'aveu. La scène est comique par l'exagération des réactions d'Argan et la ruse enfantine de Louison. La feinte de la mort est une situation burlesque, et le dialogue répétitif crée un effet comique. Le « petit doigt » d'Argan personnifié ajoute à l'absurdité.

Louison

Louison
Fille cadette d'Argan et soeur d'Angélique.

Argan

Argan
Père d'Angélique et Louison; mari de Béline; Malade imaginaire

Version Moderne

Version Originale

Louison
Qu'est-ce que tu veux, papa ? Ma belle-mère m'a dit que tu me cherches.
Qu’est-ce que vous voulez, mon papa ? Ma belle-maman m’a dit que vous me demandez.
Argan
Oui, approche. Regarde-moi bien. Alors ?
Oui, venez çà, avancez là. Tournez-vous, levez les yeux, regardez-moi. Eh !
Louison
Quoi, papa ?
Quoi, mon papa ?
Argan
Là.
Là.
Louison
Quoi ?
Quoi ?
Argan
Tu n'as rien à me dire ?
N’avez-vous rien à me dire ?
Louison
Si tu veux, je peux te raconter l'histoire de Peau d'âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, que j'ai apprises récemment.
Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d’âne, ou bien la fable du Corbeau et du Renard, qu’on m’a apprise depuis peu.
Argan
Ce n'est pas de ça que je parle.
Ce n’est pas là ce que je demande.
Louison
Qu'est-ce que tu veux alors ?
Quoi donc ?
Argan
Ah, tu fais la maligne, tu sais très bien de quoi je parle.
Ah ! rusée, vous savez bien ce que je veux dire.
Louison
Excuse-moi, papa.
Pardonnez-moi, mon papa.
Argan
C'est comme ça que tu m'obéis ?
Est-ce là comme vous m’obéissez ?
Louison
Comment ça ?
Quoi ?
Argan
Je t'ai pas dit de me dire tout ce que tu vois en premier ?
Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez ?
Louison
Si, papa.
Oui, mon papa.
Argan
Alors, l'as-tu fait ?
L’avez-vous fait ?
Louison
Oui, papa. Je t'ai dit tout ce que j'ai vu.
Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j’ai vu.
Argan
Et tu n'as rien vu aujourd'hui ?
Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui ?
Louison
Non, papa.
Non, mon papa.
Argan
Vraiment ?
Non ?
Louison
Oui, papa, vraiment.
Non, mon papa.
Argan
Bon, je vais te montrer quelque chose alors.
Assurément ?
Louison
Oh, papa.
Assurément.
Argan
Oh çà ! tu vas voir ce que tu vas voir !
Oh çà ! je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi. (Il va prendre une poignée de verges.)
Louison
Oh, papa !
Ah ! mon papa.
Argan
Oh ! oh ! petite menteuse, tu ne me dis pas que tu as vu un homme dans la chambre de ta sœur ?
Ah ! ah ! petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur ?
Louison
Papa !
Mon papa !
Argan
Ça va t'apprendre à mentir.
Voici qui vous apprendra à mentir.
Louison
Pardon, papa ! C'est juste que ma sœur m'a demandé de ne rien dire ; mais je vais tout te raconter.
(se jette à genoux.) Ah ! mon papa, je vous demande pardon. C’est que ma sœur m’avoit dit de ne pas vous le dire; mais je m’en vais vous dire tout.
Argan
D'abord, tu mérites une fessée pour avoir menti. Ensuite, nous verrons le reste.
Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste.
Louison
Pardon, papa !
Pardon, mon papa !
Argan
Non, non.
Non, non.
Louison
S'il te plaît, papa, ne me punis pas !
Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet !
Argan
Tu vas être punie.
Vous l’aurez.
Louison
Je t'en supplie, papa, ne le fais pas.
Au nom de Dieu ! mon papa, que je ne l’aye pas.
Argan
Allez, allez.
(la prenant pour la fouetter.) Allons, allons.
Louison
Aïe, papa, tu m'as fait mal. Attends, je suis morte.
Ah ! mon papa, vous m’avez blessée. Attendez; je suis morte. (Elle contrefait la morte.)
Argan
Quoi ? Louison, Louison ! Oh non ! Ma fille ! Je suis un malheureux, ma fille est morte. Qu'ai-je fait ? Maudites soient ces verges ! Oh, ma fille, ma petite Louison.
Holà ! Qu’est-ce là ? Louison, Louison. Ah, mon Dieu ! Louison. Ah ! ma fille ! Ah ! malheureux, ma pauvre fille est morte. Qu’ai-je fait, misérable ? Ah ! chiennes de verges. La peste soit des verges ! Ah ! ma pauvre fille, ma pauvre petite Louison.
Louison
Arrête de pleurer, papa, je ne suis pas vraiment morte.
La, la, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait.
Argan
Tu vois, la petite maligne ? Bon, je te pardonne cette fois, à condition que tu me dises toute la vérité.
Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà ! je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.
Louison
Oui, papa.
Ho ! oui, mon papa.
Argan
Fais attention, parce que j'ai un moyen de savoir si tu mens.
Prenez-y bien garde au moins, car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez.
Louison
Papa, ne le répète pas à ma sœur, d'accord ?
Mais, mon papa, ne dites pas à ma sœur que je vous l’ai dit.
Argan
Non, promis.
Non, non.
Louison
Voilà, papa, un homme est venu dans la chambre de ma sœur quand j'y étais.
C’est, mon papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma sœur comme j’y étois.
Argan
Et alors ?
Hé bien ?
Louison
Je lui ai demandé ce qu'il voulait, et il m'a dit qu'il était son professeur de chant.
Je lui ai demandé ce qu’il demandoit, et il m’a dit qu’il étoit son maître à chanter.
Argan
Ah, je vois. Et ensuite ?
Hon, hon. Voilà l’affaire. Hé bien ?
Louison
Puis ma sœur est arrivée.
Ma sœur est venue après.
Argan
Et ensuite ?
Hé bien ?
Louison
Elle lui a dit de partir, qu'il la rendait désespérée.
Elle lui a dit; « Sortez, sortez, sortez, mon Dieu ! sortez; vous me mettez au désespoir. »
Argan
Hé bien ?
Hé bien ?
Louison
Et lui, il ne voulait pas sortir.
Et lui, il ne vouloit pas sortir.
Argan
Qu'est-ce qu'il lui disait ?
Qu’est-ce qu’il lui disoit ?
Louison
Il lui disait plein de choses.
Il lui disoit je ne sais combien de choses.
Argan
Et ensuite ?
Et quoi encore ?
Louison
Il lui disait ceci et cela, qu'il l'adorait et qu'elle était la plus belle du monde.
Il lui disoit tout ci, tout ça, qu’il l’aimoit bien, et qu’elle étoit la plus belle du monde.
Argan
Et puis après ?
Et puis après ?
Louison
Ensuite, il s'est agenouillé devant elle.
Et puis après, il se mettoit à genoux devant elle.
Argan
Et puis après ?
Et puis après ?
Louison
Ensuite, il lui a embrassé les mains.
Et puis après, il lui baisoit les mains.
Argan
Et puis après ?
Et puis après ?
Louison
Ensuite, ma belle-mère est arrivée et il s'est enfui.
Et puis après, ma belle-maman est venue à la porte, et il s’est enfui.
Argan
C'est tout ?
Il n’y a point autre chose ?
Louison
Oui, papa.
Non, mon papa.
Argan
Mon petit doigt me dit quelque chose.
Voilà mon petit doigt pourtant qui gronde quelque chose. (Il met son doigt à son oreille.) Attendez. Eh ! ah, ah ! oui ? Oh, oh ! voilà mon petit doigt qui me dit quelque chose que vous avez vu, et que vous ne m’avez pas dit.
Louison
Oh, papa, ton petit doigt ment.
Ah ! mon papa, votre petit doigt est un menteur.
Argan
Fais attention.
Prenez garde.
Louison
Non, papa, ne le crois pas, je t'assure qu'il ment.
Non, mon papa, ne le croyez pas, il ment, je vous assure.
Argan
Très bien, on verra. Va-t'en maintenant et reste attentive. Ah, les enfants d'aujourd'hui ! Tant de soucis ! Je n'ai même plus le temps de penser à ma maladie. Vraiment, c'en est trop.
Oh bien, bien ! nous verrons cela. Allez-vous-en, et prenez bien garde à tout; allez. Ah ! il n’y a plus d’enfants. Ah ! que d’affaires ! je n’ai pas seulement le loisir de songer à ma maladie. En vérité, je n’en puis plus. (Il se remet dans sa chaise.)
Molière
Écrit par Molière Suivre