Version Moderne
Version Originale
Excusez-moi, Monsieur, pour mon intrusion.
Monsieur, je vous demande pardon de tout mon cœur.
C'est incroyable !
Cela est admirable !
J'espère que vous ne m'en voudrez pas d'avoir voulu rencontrer une personne aussi renommée que vous. Votre notoriété justifie ma curiosité.
Vous ne trouverez pas mauvais, s’il vous plaît, la curiosité que j’ai eue de voir un illustre malade comme vous êtes; et votre réputation, qui s’étend partout, peut excuser la liberté que j’ai prise.
À votre service, Monsieur.
Monsieur, je suis votre serviteur.
Vous semblez intrigué. Quel âge me donnez-vous ?
Je vois, Monsieur, que vous me regardez fixement. Quel âge croyez-vous bien que j’aye ?
Je pense que vous avez tout au plus vingt-six ou vingt-sept ans.
Je crois que tout au plus vous pouvez avoir vingt-six ou vingt-sept ans.
Ah ! J'ai 90 ans.
Ah, ah, ah, ah, ah ! j’en ai quatre-vingt-dix.
90 ans ?
Quatre-vingt-dix ?
Oui. C'est grâce à mon savoir-faire que je garde cette apparence jeune et vigoureuse.
Oui. Vous voyez un effet des secrets de mon art, de me conserver ainsi frais et vigoureux.
Eh bien, pour quelqu'un de quatre-vingt-dix ans, vous avez l'air incroyablement jeune.
Par ma foi ! voilà un beau jeune vieillard pour quatre-vingt-dix ans.
Je suis un médecin itinérant, je parcours les villes, les provinces, les royaumes à la recherche de cas dignes de mon talent, de patients qui méritent mon attention, pour mettre en pratique les grandes découvertes que j'ai faites en médecine. Je refuse de perdre mon temps avec des maladies banales, des rhumes, des fièvres légères, des maux de tête. Je cherche des cas sérieux
Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatisme et défluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance; de bonnes fièvres continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec des inflammations de poitrine; c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe; et je voudrois, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins, désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et l’envie que j’aurois de vous rendre service.
Merci, Monsieur, pour votre sollicitude.
Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
Montrez-moi votre pouls. Voyons... Ah, il résiste. Vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là fait l’impertinent; je vois bien que vous ne me connoissez pas encore. Qui est votre médecin ?
Monsieur Purgon.
Monsieur Purgon.
Cet homme ne figure pas parmi les grands médecins pour moi. De quoi dit-il que vous souffrez ?
Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
Il dit que c'est le foie, et d'autres disent que c'est la rate.
Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
Ils ne savent rien, c'est vos poumons qui sont malades.
Ce sont tous des ignorants; c’est du poumon que vous êtes malade.
Mes poumons ?
Du poumon ?
Oui. Quels sont vos symptômes ?
Oui. Que sentez-vous ?
Parfois, j'ai mal à la tête.
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
Exactement, c'est les poumons.
Justement, le poumon.
J'ai l'impression de voir flou de temps en temps.
Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.
Les poumons, ça.
Le poumon.
Parfois, j'ai des nausées.
J’ai quelquefois des maux de cœur.
Toujours les poumons.
Le poumon.
Parfois, je me sens fatigué partout.
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
Encore les poumons.
Le poumon.
Et par moments, j'ai des douleurs au ventre, comme des coliques.
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’étoit des coliques.
C'est lié aux poumons. Vous avez de l'appétit ?
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?
Oui, Monsieur.
Oui, Monsieur.
Le poumon. Vous aimez boire un peu de vin ?
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?
Oui, Monsieur.
Oui, Monsieur.
C'est votre poumon. Vous avez tendance à somnoler après manger, ça vous plaît de faire une sieste ?
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas et vous êtes bien aise de dormir ?
Oui, Monsieur.
Oui, Monsieur.
C'est bien ce que je dis, le poumon. Et que vous conseille votre médecin pour votre alimentation ?
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ?
Il me recommande de manger du potage.
Il m’ordonne du potage.
De la volaille aussi.
De la volaille.
Des bouillons.
Des bouillons.
Des œufs frais.
Des œufs frais.
Et le soir, quelques pruneaux pour faciliter la digestion.
Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.
Et je dilue bien mon vin fort.
Et surtout de boire mon vin fort trempé.
Vous ne savez rien. Buvez votre vin pur. Pour épaissir le sang trop fluide, mangez de la viande de bœuf, du porc, du fromage de Hollande, du gruau, du riz, des marrons et des gaufres pour solidifier le tout. Votre médecin est un idiot. Je vais vous en recommander un autre et je passerai vous voir tant que je serai en ville.
Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur; et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.
C'est très aimable à vous.
Vous m’obligez beaucoup.
Que diable faites-vous de ce bras-là ?
Que diantre faites-vous de ce bras-là ?
Si j'étais vous, je me le ferais amputer sur-le-champ.
Voilà un bras que je me ferois couper tout à l’heure, si j’étois que de vous.
Mais pourquoi ?
Et pourquoi ?
Vous ne voyez pas qu'il absorbe toute la nourriture et empêche ce côté de se développer ?
Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il empêche ce côté-là de profiter ?
Mais j'ai besoin de mon bras.
Oui; mais j’ai besoin de mon bras.
Vous avez aussi un œil droit que je ferais enlever si j'étais à votre place.
Vous avez là aussi un œil droit que je me ferois crever, si j’étois en votre place.
Me faire énucléer un œil ?
Crever un œil ?
Vous ne remarquez pas qu'il gêne l'autre et lui vole sa part ? Croyez-moi, faites-le enlever rapidement, vous y verrez mieux de l'œil gauche.
Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez plus clair de l’œil gauche.
Ce n'est pas urgent.
Cela n’est pas pressé.
Au revoir. Désolée de partir si vite, mais je dois assister à une grande consultation pour un homme décédé hier.
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui mourut hier.
Pour un homme décédé hier ?
Pour un homme qui mourut hier ?
Oui, pour réfléchir à ce qu'il aurait fallu faire pour le sauver. À plus tard.
Oui, pour aviser, et voir ce qu’il auroit fallu lui faire pour le guérir. Jusqu’au revoir.
Vous savez que les malades ne raccompagnent pas.
Vous savez que les malades ne reconduisent point.
C'est vraiment un médecin qui semble très compétent.
Voilà un médecin vraiment qui paroît fort habile.
Oui, mais il va un peu trop vite.
Oui, mais il va un peu bien vite.
C'est le cas de tous les grands médecins.
Tous les grands médecins sont comme cela.
Me couper un bras et enlever un œil pour que l'autre fonctionne mieux ? Je préfère qu'ils ne fonctionnent pas si bien. Quelle idée saugrenue de me rendre borgne et manchot !
Me couper un bras, et me crever un œil, afin que l’autre se porte mieux ? J’aime bien mieux qu’il ne se porte pas si bien. La belle opération, de me rendre borgne et manchot !