Acte 3, Scène 12

Toinette annonce faussement la mort d'Argan à Béline, qui se réjouit de cette nouvelle. Argan, feignant d'être mort, surprend Béline et découvre sa vraie nature. La scène est une mise à l'épreuve des sentiments de Béline envers Argan. La réaction de Béline révèle son hypocrisie et son intérêt matériel. Argan, témoin caché, prend conscience de la duplicité de sa femme. La scène sert de révélation et de tournant dans l'intrigue.

Toinette

Toinette
Servante de Béline

Béline

Béline
Seconde femme d'Argan et belle mère d'Angélique et de Louison

Argan

Argan
Père d'Angélique et Louison; mari de Béline; Malade imaginaire

Béralde

Béralde
Frère d'Argan

Version Moderne

Version Originale

Toinette
Oh mon Dieu, quelle horreur ! Un accident incroyable !
(s’écrie.) Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident !
Béline
Qu'est-ce qu'il y a, Toinette ?
Qu’est-ce, Toinette ?
Toinette
Ah, Madame !
Ah, Madame !
Béline
Qu'est-ce qui se passe ?
Qu’y a-t-il ?
Toinette
Votre mari est mort.
Votre mari est mort.
Béline
Mon mari est mort ?
Mon mari est mort ?
Toinette
Malheureusement oui. Le pauvre mort est décédé.
Hélas ! oui. Le pauvre défunt est trépassé.
Béline
Vraiment ?
Assurément ?
Toinette
Oui, vraiment. Personne n'est encore au courant de cet accident, j'étais là toute seule quand ça s'est passé. Il vient de mourir dans mes bras. Regardez, il est étendu là sur cette chaise.
Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise.
Béline
Dieu soit loué ! Je suis enfin libérée d'un lourd fardeau. Toinette, tu es bête de te chagriner pour sa mort !
Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d’un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t’affliger de cette mort !
Toinette
Madame, je pensais qu'il fallait pleurer.
Je pensois, Madame, qu’il fallût pleurer.
Béline
Laisse tomber, ça ne vaut pas la peine. Quelle perte représente-t-il ? À quoi servait-il sur terre ? Un homme gênant pour tout le monde, sale, repoussant, toujours avec un lavement ou des médicaments, reniflant, toussant, crachant, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, harcelant constamment le personnel, râlant jour et nuit.
Va, va, cela n’en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne ? et de quoi servoit-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
Toinette
Voilà un bel éloge funèbre.
Voilà une belle oraison funèbre.
Béline
Toinette, tu dois m'aider à réaliser mon plan, et tu peux compter sur une belle récompense pour ton service. Comme par chance personne n'est encore au courant, transportons-le dans son lit et gardons sa mort secrète jusqu'à ce que j'aie mis la main sur certains papiers et de l'argent. Il n'est pas juste que j'aie passé mes meilleures années auprès de lui sans en tirer profit. Viens, Toinette, prenons d'abord toutes ses clés.
Il faut, Toinette, que tu m’aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu’en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n’est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu’à ce que j’aye fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l’argent dont je veux me saisir, et il n’est pas juste que j’aye passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs.
Argan
Doucement.
(se levant brusquement.) Doucement.
Béline
Ah !
(surprise et épouvantée.) Ahy !
Argan
Ah, ma chère épouse, c'est donc ça ton amour pour moi ?
Oui, Madame ma femme, c’est ainsi que vous m’aimez ?
Toinette
Ah, ah ! le défunt n'est pas mort.
Ah, ah ! le défunt n’est pas mort.
Argan
Je suis content de connaître tes vrais sentiments et d'avoir entendu le bel éloge que tu as fait sur moi. Cela me sert de leçon pour l'avenir et m'évitera de faire certaines erreurs.
(à Béline, qui sort.) Je suis bien aise de voir votre amitié, et d’avoir entendu le beau panégyrique que vous avez fait de moi. Voilà un avis au lecteur qui me rendra sage à l’avenir, et qui m’empêchera de faire bien des choses.
Béralde
Voilà, mon frère, tu vois.
(sortant de l’endroit où il étoit caché.) Hé bien ! mon frère, vous le voyez.
Toinette
Ma foi, je n'aurais jamais cru ça. Mais j'entends votre fille ; remettez-vous comme avant, et voyons comment elle réagira à votre mort. C'est intéressant à savoir ; et puisque vous êtes lancé, vous découvrirez ainsi les vrais sentiments de votre famille envers vous.
Par ma foi ! je n’aurois jamais cru cela. Mais j’entends votre fille; remettez-vous comme vous étiez, et voyons de quelle manière elle recevra votre mort. C’est une chose qu’il n’est pas mauvais d’éprouver; et puisque vous êtes en train, vous connoîtrez par là les sentiments que votre famille a pour vous.
Molière
Écrit par Molière Suivre