Acte 3, Scène 11

Argan envisage de placer sa fille au couvent contre son gré. Toinette propose une ruse pour révéler la vraie nature de l'épouse d'Argan. La scène est comique en raison de l'absurdité de la situation. Argan, naïf, est prêt à simuler sa propre mort, ce qui est en soi ridicule. Le comique repose aussi sur l'ironie et la complicité de Toinette avec le public, sachant que la supercherie est destinée à révéler une vérité cachée. Le contraste entre la gravité de la mort et la légèreté avec laquelle elle est traitée crée une tension humoristique.

Toinette

Toinette
Servante de Béline

Argan

Argan
Père d'Angélique et Louison; mari de Béline; Malade imaginaire

Béralde

Béralde
Frère d'Argan

Version Moderne

Version Originale

Toinette
Allons, allons, je suis votre servante, je n’ai pas envie de rire.
Allons, allons, je suis votre servante, je n’ai pas envie de rire.
Argan
Qu'est-ce qu'il y a ?
Qu’est-ce que c’est ?
Toinette
Votre médecin, franchement ! Il voulait me prendre le pouls.
Votre médecin, ma foi ! qui me vouloit tâter le pouls.
Argan
Imaginez, à quatre-vingt-dix ans !
Voyez un peu, à l’âge de quatre-vingt-dix ans !
Béralde
Bon, mon frère, maintenant que vous êtes fâché avec Monsieur Purgon, ne voulez-vous pas considérer l'option de mariage pour notre nièce ?
Oh çà, mon frère, puisque voilà votre Monsieur Purgon brouillé avec vous, ne voulez-vous pas bien que je vous parle du parti qui s’offre pour ma nièce ?
Argan
Non, mon frère ; je préfère l'envoyer au couvent puisqu'elle a désobéi. Je suis sûr qu'il y a une histoire d'amour derrière tout ça, et j'ai surpris un rendez-vous secret qu'ils ignorent que j'ai découvert.
Non, mon frère; je veux la mettre dans un convent, puisqu’elle s’est opposée à mes volontés. Je vois bien qu’il y a quelque amourette là-dessous, et j’ai découvert certaine entrevue secrète, qu’on ne sait pas que j’aye découverte.
Béralde
Et alors, mon frère, même s'il y a un petit béguin, est-ce si grave ? Est-ce offensant si tout cela mène à quelque chose d'aussi honorable que le mariage ?
Hé bien ! mon frère, quand il y auroit quelque petite inclination, cela seroit-il si criminel, et rien peut-il vous offenser, quand tout ne va qu’à des choses honnêtes comme le mariage ?
Argan
Peu importe, mon frère, elle va devenir nonne, c'est décidé.
Quoi qu’il en soit, mon frère, elle sera religieuse, c’est une chose résolue.
Béralde
Tu veux faire plaisir à quelqu'un.
Vous voulez faire plaisir à quelqu’un.
Argan
Je vois où tu veux en venir ; c'est toujours à propos de ma femme.
Je vous entends; vous en revenez toujours là, et ma femme vous tient au cœur.
Béralde
Eh bien, oui, frère, autant parler franchement, c'est de ta femme que je parle. Tout comme ton obsession pour la médecine, je ne supporte pas ton aveuglement pour elle, ni que tu tombes sans cesse dans ses pièges.
Hé bien ! oui, mon frère, puisqu’il faut parler à cœur ouvert, c’est votre femme que je veux dire; et non plus que l’entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l’entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous donniez tête baissée dans tous les pièges qu’elle vous tend.
Toinette
Oh ! Monsieur, ne parlez pas ainsi de Madame ; c'est une femme irréprochable, sans ruse, qui aime Monsieur... enfin, on ne peut pas vraiment dire ça.
Ah ! Monsieur, ne parlez point de Madame; c’est une femme sur laquelle il n’y a rien à dire, une femme sans artifice, et qui aime Monsieur, qui l’aime... on ne peut pas dire cela.
Argan
Demande-lui donc combien elle est tendre avec moi.
Demandez-lui un peu les caresses qu’elle me fait.
Toinette
C'est vrai.
Cela est vrai.
Argan
Comme elle s'inquiète pour ma santé.
L’inquiétude que lui donne ma maladie.
Toinette
Oui, c'est sûr.
Assurément.
Argan
Et tous les soins et l'attention qu'elle me porte.
Et les soins et les peines qu’elle prend autour de moi.
Toinette
C'est sûr. Tu veux que je te prouve à quel point elle t'aime ? Monsieur, faites semblant d'être mort et vous verrez sa réaction.
Il est certain. Voulez-vous que je vous convainque, et vous fasse voir tout à l’heure comme Madame aime Monsieur ? Monsieur, souffrez que je lui montre son bec jaune, et le tire d’erreur.
Argan
Comment ça ?
Comment ?
Toinette
Elle va revenir. Allongez-vous sur cette chaise et faites le mort. Vous verrez sa peine quand je lui annoncerai la nouvelle.
Madame s’en va revenir. Mettez-vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera, quand je lui dirai la nouvelle.
Argan
D'accord.
Je le veux bien.
Toinette
Mais ne la laissez pas trop longtemps dans l'angoisse, elle pourrait en mourir.
Oui; mais ne la laissez pas longtemps dans le désespoir, car elle en pourroit bien mourir.
Argan
Laisse-moi faire.
Laisse-moi faire.
Toinette
Cachez-vous là-bas, dans ce coin.
(à Béralde.) Cachez-vous, vous, dans ce coin-là.
Argan
Est-ce dangereux de faire semblant d'être mort ?
N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ?
Toinette
Non, non, quel danger y aurait-il ? Allongez-vous simplement là.
Non, non; quel danger y auroit-il ? Étendez-vous là seulement. (Bas.) Il y aura plaisir à confondre votre frère. Voici Madame. Tenez-vous bien.
Molière
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