Version Moderne
Version Originale
Qu'est-ce qui t'arrive, Angélique ? Pourquoi pleures-tu ?
Qu’avez-vous donc, belle Angélique ? et quel malheur pleurez-vous ?
Hélas, je pleure la perte de ce qui m'était le plus cher, mon père.
Hélas ! je pleure tout ce que dans la vie je pouvois perdre de plus cher et de plus précieux; je pleure la mort de mon père.
Oh non ! Quelle tragédie ! Je venais justement te demander en mariage.
Ô Ciel ! quel accident ! quel coup inopiné ! Hélas ! après la demande que j’avois conjuré votre oncle de lui faire pour moi, je venois me présenter à lui, et tâcher par mes respects et par mes prières de disposer son cœur à vous accorder à mes vœux.
Cléante, oublions le mariage. Avec la mort de mon père, je renonce au monde.
Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j’y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j’ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m’accuse de vous avoir donné. Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon ressentiment.
Ah, ma fille !
(se lève)
Ah, ma fille !
N'aie pas peur, je suis vivant. Tu es ma vraie fille, et je suis heureux de voir ta bonté.
Viens. N’aye point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille; et je suis ravi d’avoir vu ton bon naturel.
Quelle heureuse surprise ! Puisque tu es en vie, laisse-moi te demander de ne pas m'obliger à épouser quelqu'un d'autre si ce n'est pas Cléante.
Ah ! quelle surprise agréable, mon père ! Puisque par un bonheur extrême le Ciel vous redonne à mes vœux, souffrez qu’ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d’une chose. Si vous n’êtes pas favorable au penchant de mon cœur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure au moins de ne me point forcer d’en épouser un autre. C’est toute la grâce que je vous demande.
Monsieur, écoutez nos prières et ne vous opposez pas à notre amour.
(se jette à genoux.)
Eh ! Monsieur, laissez-vous toucher à ses prières et aux miennes, et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressements d’une si belle inclination.
Mon frère, comment pouvez-vous résister ?
Mon frère, pouvez-vous tenir là contre ?
Monsieur, comment ignorer un tel amour ?
Monsieur, serez-vous insensible à tant d’amour ?
Qu'il devienne médecin et je donne ma bénédiction au mariage. Devenez médecin, et ma fille sera à vous.
Qu’il se fasse médecin, je consens au mariage. Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille.
Avec plaisir, Monsieur; si c'est la seule condition pour devenir votre gendre, je deviendrai médecin, voire apothicaire si nécessaire. Je suis prêt à tout pour gagner le cœur d'Angélique.
Très-volontiers, Monsieur; s’il ne tient qu’à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire même, si vous voulez. Ce n’est pas une affaire que cela, et je ferois bien d’autres choses pour obtenir la belle Angélique.
Frère, pourquoi ne pas devenir médecin toi-même ? Ce serait encore plus pratique.
Mais, mon frère, il me vient une pensée; faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus grande, d’avoir en vous tout ce qu’il vous faut.
C'est vrai. C'est le meilleur moyen de guérir vite. Aucune maladie n'oserait s'attaquer à un médecin.
Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt; et il n’y a point de maladie si osée, que de se jouer à la personne d’un médecin.
Je crois, mon frère, que tu te moques de moi. Ne suis-je pas trop agé pour etudier ?
Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi; est-ce que je suis en âge d’étudier ?
Pas besoin d'étudier ! Tu es déjà assez savant. Beaucoup de médecins ne sont pas plus compétents que toi.
Bon, étudier ! Vous êtes assez savant; et il y en a beaucoup parmi eux qui ne sont pas plus habiles que vous.
Mais il faut connaître le latin, les maladies et les traitements appropriés.
Mais il faut savoir bien parler latin, connoître les maladies, et les remèdes qu’il y faut faire.
En recevant l'habit et le bonnet de médecin, tu apprendras tout cela et tu seras même plus compétent que nécessaire.
En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez.
Vraiment ? On peut parler des maladies avec cet habit ?
Quoi ? l’on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ?
Oui. Avec une toge et un bonnet, n'importe quel charabia devient érudit et toute bêtise devient sensée.
Oui. L’on n’a qu’à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison.
Voyez, Monsieur, rien que votre barbe en impose déjà, et la barbe fait la moitié d'un médecin.
Tenez, Monsieur, quand il n’y auroit que votre barbe, c’est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d’un médecin.
En tout cas, je suis prêt à tout.
En tout cas, je suis prêt à tout.
Vous voulez que ça se fasse maintenant ?
Voulez-vous que l’affaire se fasse tout à l’heure ?
Comment maintenant ?
Comment tout à l’heure ?
Oui, et chez toi.
Oui, et dans votre maison.
Dans ma maison ?
Dans ma maison ?
Exactement. Je connais un groupe d'amis qui va venir organiser une petite cérémonie dans ton salon. Ça ne te coûtera rien.
Oui. Je connois une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l’heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien.
Mais moi, que dois-je dire ou faire ?
Mais moi, que dire, que répondre ?
On t'expliquera rapidement et on te donnera un texte à dire. Va te changer pour être présentable, je vais les inviter.
On vous instruira en deux mots, et l’on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent, je vais les envoyer querir.
D'accord, allons voir ça.
Allons, voyons cela.
De quoi tu parles ? Qu'est-ce que c'est que ce groupe d'amis... ?
Que voulez-vous dire, et qu’entendez-vous avec cette Faculté de vos amies... ?
Quel est votre plan ?
Quel est donc votre dessein ?
On va se divertir ce soir. Les acteurs ont préparé une petite pièce sur l'intronisation d'un médecin, avec des danses et de la musique ; je veux qu'on en profite tous ensemble et que mon frère joue le rôle principal.
De nous divertir un peu ce soir. Les comédiens ont fait un petit intermède de la réception d’un médecin, avec des danses et de la musique; je veux que nous en prenions ensemble le divertissement, et que mon frère y fasse le premier personnage.
Mais mon oncle, il me semble que tu te moques un peu beaucoup de mon père.
Mais mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père.
Non, ma nièce, je m'adapte plutôt à ses lubies. C'est juste pour nous amuser. On peut tous jouer un rôle et se faire rire. C'est le carnaval, après tout. Allons vite tout préparer.
Mais, ma nièce, ce n’est pas tant le jouer, que s’accommoder à ses fantaisies. Tout ceci n’est qu’entre nous. Nous y pouvons aussi prendre chacun un personnage, et nous donner ainsi la comédie les uns aux autres. Le carnaval autorise cela. Allons vite préparer toutes choses.
Tu es d'accord ?
(à Angélique)
Y consentez-vous ?
Oui, si mon oncle nous guide.
Oui, puisque mon oncle nous conduit.