Version Moderne
Version Originale
Valère, aide-moi. Maître Jacques, approche-toi, je t'ai gardé pour la fin.
Valère, aide-moi à ceci. Oh çà, maître Jacques, approchez-vous ; je vous ai gardé pour le dernier.
Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
Aux deux.
C'est à tous les deux.
Mais lequel en premier ?
Mais à qui des deux le premier ?
Au cuisinier.
Au cuisinier.
Alors, attendez s'il vous plaît.
Attendez donc, s'il vous plaît.
Qu'est-ce que c'est que cette cérémonie ?
Quelle diantre de cérémonie est-ce là ?
Vous n'avez qu'à parler.
Vous n'avez qu'à parler.
Maître Jacques, je me suis engagé à organiser un dîner ce soir.
Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.
Quelle merveille !
Grande merveille !
Dis-moi, est-ce que tu nous prépareras un bon repas ?
Dis-moi un peu , nous feras-tu bonne chère ?
Oui, si vous me donnez beaucoup d'argent.
Oui, Si vous me donnez bien de l'argent.
Encore de l'argent ! C'est tout ce qu'ils savent dire , de l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ils ne parlent que de ça, de l'argent ! C'est leur obsession, de l'argent !
Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre chose à dire , De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont que ce mot à la bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voilà leur épée de chevet , de l'argent !
Quelle réponse impertinente ! C'est facile de faire un bon repas avec beaucoup d'argent ! N'importe qui peut le faire. Mais le vrai défi, c'est de faire un bon repas avec peu d'argent.
Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent ! C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit qui n'en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent.
Un bon repas avec peu d'argent !
Bonne chère avec peu d'argent !
Eh bien, Monsieur l'intendant, montrez-nous comment faire et prenez ma place de cuisinier. Vous semblez vouloir tout contrôler ici.
Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien vous mêlez-vous céans d'être le factotum.
Taisez-vous. De quoi aurons-nous besoin ?
Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ?
Votre intendant ici vous préparera un bon repas pour peu d'argent.
Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu d'argent.
Non, je te demande à toi.
Haye ! Je veux que tu me répondes.
Combien serez-vous à dîner ?
Combien serez-vous de gens à table ?
Nous serons huit ou dix ; mais préparez seulement pour huit , s'il y a assez pour huit, il y en aura pour dix.
Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit , quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
Bien sûr, je comprends.
Cela s'entend.
Alors, il faudra quatre grands soupes et cinq plats... Soupes... Entrées.
Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes... Potages... Entrées.
Quoi ! C'est assez pour nourrir toute une ville.
Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.
Ah ! Tu vas me ruiner.
Ah ! traître, tu manges tout mon bien.
Entremets...
Entremets...
Vous voulez faire exploser tout le monde ? Avez-vous invité des gens pour les tuer avec trop de nourriture ? Allez lire un peu sur la santé et demandez aux médecins si manger trop n'est pas nuisible.
Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger avec excès.
Il a raison.
Il a raison.
Maître Jacques, toi et les autres, sachez qu'une table trop remplie est dangereuse. Pour être un bon hôte, il faut être frugal. Comme le disait un sage, "on doit manger pour vivre, pas vivre pour manger".
Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien, "il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" .
Ah ! C'est bien dit ! Viens, que je t'embrasse pour ces paroles. C'est la plus belle phrase que j'ai entendue , "Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est pas ça. Comment dis-tu ?
Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie , "Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis ?
Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
Oui, tu comprends ?
Qui est-ce qui a dit ça ?
Oui. Entends-tu ?
Qui est le grand homme qui a dit cela ?
Je ne me rappelle plus son nom.
Je ne me souviens pas maintenant de son nom.
N'oublie pas de noter ces mots , je veux les faire graver en lettres d'or sur ma cheminée.
Souviens-toi de m'écrire ces mots , je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle.
Je n'oublierai pas. Et pour votre dîner, laissez-moi m'en occuper , je m'occuperai de tout comme il faut.
Je n'y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire , je réglerai tout cela comme il faut.
Parfait ! Ça me facilitera la tâche.
Tant mieux ! j'en aurai moins de peine.
On aura besoin de nourriture peu coûteuse mais rassasiante, comme des haricots gras et des pâtés en pot garnis de marrons.
Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient d'abord , quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien garni de marrons.
Comptez sur moi.
Reposez-vous sur moi.
Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
Attendez. Cela concerne le cocher.
Vous dites...
Attendez. Ceci s'adresse au cocher.
Vous dites...
Qu'il faut nettoyer mon carrosse et préparer mes chevaux pour aller à la foire...
Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prêts pour conduire à la foire...
Vos chevaux ne sont pas en état de marcher, Monsieur. Ils sont si affaiblis par le manque de nourriture qu'ils ressemblent à des fantômes.
Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi ! ils ne sont point du tout en état de marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière , les pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler ; mais vous leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.
Les voilà bien malades ! ils ne font rien.
Les voilà bien malades ! ils ne font rien.
Mais Monsieur, ils ont besoin de manger même s'ils ne font rien. C'est triste de les voir si affaiblis. J'ai de l'affection pour eux et je partage leur souffrance. Je sacrifie ma propre nourriture pour eux. C'est cruel de ne pas avoir de pitié pour eux.
Et, pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ? Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur de les voir ainsi exténués ; car, enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir. Je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche, et c'est être, Monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.
Le trajet jusqu'à la foire ne sera pas long.
Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'à la foire.
Je n'ai pas le coeur de les y emmener. Ils sont trop faibles pour tirer un carrosse.
Non, je n'ai pas le courage de les mener ; et je ferais conscience de leur donner des coups de fouet, en l'état où ils sont. Comment voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes.
Je demanderai à notre voisin Picard de les conduire. Il nous sera utile pour préparer le dîner.
Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire , aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper.
D'accord. Je préfère qu'ils meurent sous la main d'un autre que sous la mienne.
Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre que sous la mienne.
Maître Jacques fait bien le raisonnable !
Maître Jacques fait bien le raisonnable !
Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire !
Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire !
Monsieur, je n'aime pas les flatteurs. Je vois que ses contrôles constants sur la nourriture et les fournitures ne sont que pour vous plaire. Cela m'énerve et je suis contrarié d'entendre ce que les gens disent de vous. Malgré moi, je tiens à vous et, après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus.
Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous , car, enfin, je me sens pour vous de la tendresse, en dépit que j'en aie ; et, après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus.
Pourrais-je savoir ce qu'on dit de moi, Maître Jacques ?
Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi ?
Oui, monsieur, si je suis sûr que cela ne vous mettra pas en colère.
Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point.
Non, pas du tout.
Non, en aucune façon.
Excusez-moi, je sais très bien que cela vous mettrait en colère.
Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère.
Pas du tout, au contraire, ça me fait plaisir et je suis content d'apprendre ce qu'on dit de moi.
Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi.
Monsieur, puisque vous le voulez, je vais vous dire franchement qu'on se moque de vous partout, qu'on fait des blagues à votre sujet de tous les côtés, et qu'on est ravi de vous critiquer et de raconter sans cesse des histoires sur votre avarice. Certains disent que vous faites imprimer des almanachs spéciaux où vous doublez les périodes de jeûne pour profiter de vos employés. D'autres disent que vous cherchez toujours des querelles à vos domestiques pendant les fêtes ou quand ils quittent votre service, pour avoir une raison de ne rien leur donner. Il y en a un qui raconte qu'un jour vous avez fait assigner le chat d'un de vos voisins parce qu'il avait mangé un reste de gigot d'agneau. Un autre dit qu'on vous a surpris une nuit en train de voler vous-même l'avoine de vos chevaux, et que votre cocher précédent vous a donné plusieurs coups de bâton dans l'obscurité, auxquels vous n'avez rien dit. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne peut aller nulle part sans entendre des histoires inventées sur vous. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde, et on ne parle jamais de vous autrement que comme un avare, un radin, un méchant et un fesse-mathieu.
Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous, qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers, où vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de profiter des jeûnes où vous obligez votre monde ; l'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps des étrennes ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de mouton ; celui-ci, que l'on vous surprit, une nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux ; et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna, dans l'obscurité, je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes pièces. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de fesse-mathieu.
Vous êtes stupide, un vaurien, un escroc et un impudent.
Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.
Eh bien, ne vous avais-je pas prévenu ? Vous ne vouliez pas me croire. Je savais que la vérité vous mettrait en colère.
Eh bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire. Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.
Apprenez à parler.
Apprenez à parler.